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Henri Lopès, Un dossier classé

Cette semaine je vais m’essayer à la critique littéraire. D’habitude dans le métro qui me trimbale une heure le matin, puis une nouvelle heure tous les soirs de ma banlieue-dortoir à mon poste de travail, je suis de ceux qui se bouchent les oreilles d’un lecteur de musique digital et quelque fois d’un roman. Pour avoir l’air moins zonard peut-être. Il se trouve que pour les fêtes de noël j’ai reçu un livre d’Henri Lopès « Dossier classé », paru aux éditions du Seuil.

Le roman est une pseudo enquête qui se déroule vers 1992 sur la fin tragique de Lazare Matsokota, le juriste congolais assassiné au milieu des années 60. Les noms sont maquillés, mais avec suffisamment d’indices pour que le congolais moyen s’y retrouve sans peine. Pointe-Noire est rebaptisé Cap Lamentin, le génie légendaire de Matsokota est célébré par le pseudonyme de Bossuet Mayélé qu’il lui affuble ; tandis qu’on ne manquera pas de retrouver sous les traits de madame Polélé la tonitruante Mambou Gnali décrite comme intellectuelle à la cuisse ouverte.

HÉROS. La première chose qui frappe dans cette œuvre c’est le héros, Lazare Mayélé. Journaliste, il est le fils métis du disparu, et mène l’enquête de son père dans un pays qu’il a fuit au lendemain de cet assassinat. Puisque tout roman est toujours une part de soi-même on ne peut s’empêcher de voir sous les traits intellectuels de ce jeune métis, le fond de la pensée de Lopès lui-même. Nous savons tous que les métis souffrent généralement d’un problème identitaire, mais celui de Lopès alias Lazare Mayélé est somme toute plus aigu. C’est un enchevêtrement sinueux où s’entremêlent complexe de supériorité et culte accru de la différence. S’il lui arrive d’oublier qu’il est un homme, il ne perdra jamais de page pour rappeler qu’il est métis, et signaler le creusé entre lui, proche des mindélé qu’il nomme Baroupéens, et les autres, les zoulous appelés aussi les évolués entendez par là les cultivés, les instruits, les occidentalisés, qui sont en fait ses seuls interlocuteurs, car il va jusqu’à ignorer totalement jusqu’à l’existence du peuple. Si, il l’évoque quelque fois comme des primitifs capables de tout sacrifier pour s’offrir au divin métis qu’il est.

SCÉNARIO. Comme l’indique son nom, le dossier est classé avant même qu’on ne l’ouvre. Le scénario est fini avant qu’il ne commence. Les deux ou trois nœuds - sans grande importance d’ailleurs - sont élucidés dans les tous premiers chapitres. Les personnages sont grossièrement caricaturés, terriblement exagérés pour laisser place à la critique du grand métis « mouroupéen-américain », donc deux fois supérieur semble t-il croire. En somme il n’y a pas d’histoire, pas de rebondissement, pas de suspens ni une quelconque excitation intellectuelle. L’enquête elle-même manque d’entrain. Au début il recherche un vieux musicien nommé Goma. Voici qu’un taxi l’emmène à des dizaines de kilomètres dans la savane pour lui présenter finalement un enfant. A la fin il retrouve le bon Goma. Comment ? C’est un musicien célèbre que tout le pays connaît !
Le dossier qui est classé là dedans n’est pas le dossier Bossuet Mayélé qui l’est avant le début du roman et que même l’auteur n’ose mettre en son héros -assez frustre - le panache d’un fouteur de merde ; ce qui est classé définitivement c’est la relation et le lien entre le métis Lazare Mayélé et le Mossika, pays de nègres, ainsi que tout ce qui va avec.

STYLE. On dira que le style Lopès est peu fouillé, sans obtenir la fluidité d’une écriture libre. Le temps passe si lentement dans mon métro que je ressens les stations qui se suivent lourdement les unes après les autres. Il n’y a que Flaubert qui a réussi dans le passé à me donner de pareilles migraines. Rien à voir avec la vitesse de récit du kinois Zamenga Batukezanga (Zamos pour les intimes), ou l’ultra-réalisme d’un Amadou Kourouma qui vous transperce d’émotion en vous faisant vibrer l’action, et encore moins le génie descriptif tant social qu’environnemental de Balzac. Ce n’est pas de la verve politique à la Richard Wright, ni la révélation d’un vocabulaire oublié ou la création d’un nouveau comme le faisait Sony Labou Tansi.

Ce roman ne distrait pas, n’apprend rien, ne fait même pas passer le temps. C’est 18€ jetés par les fenêtres. Il a fini de me convaincre de ce que tout le monde répète au sujet des conditions de cooptation chez les majors de l’édition en France. J’ignore si d’autres œuvres de Lopès sont dignes d’intérêt, mais Dossier Classé est à éviter absolument.

Kevin Beto

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