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Indépendants

- L’Editorial de Benda Bika -

Cette semaine encore, nous allons sacrifier au rituel : discours flamboyants, quelques annonces peut-être, des poses de première (qui sait ?) de première, deuxième ou troisième pierres peut-être, et l’insistance partout sur la fraternité, le dialogue, la paix et la concorde. Pour le développement ! Nous sommes dans la semaine où tout nous est bon pour célébrer l’indépendance du 15 août 1963. 43 ans déjà que nous répétons ces paroles de paix, de concorde, de fraternité ; que nous annonçons les projets les plus beaux ; que nous nous voyons sortant de la misère et de sous-développement. Et nous en sommes toujours au même point.

C’est à dire que nous en sommes toujours à faire les longues files devant les stations d’essence pour prendre, non du carburant seulement pour les voitures (ce qui indiquerait au moins une généralisation sinon de la possession, du moins de l’usage de la voiture), mais du pétrole lampant ! Car dans nos cahutes, c’est toujours la lampe luciole qui nous sert pour l’éclairage. L’électricité est pour Brazzaville ou, accessoirement, pour Pointe-Noire et Dolisie. Quand elle est fournie. Le reste du pays, d’Owando à Ouesso ; de Kinkala à Sibiti, c’est le noir complet.

Il y a ceux qui parlent de l’électricité comme d’un véritable moteur de développement. Là où le courant va, disent-ils, la lumière (pas seulement au propre) arrive. Si l’on devait les en croire, le syllogisme facile de cette lapalissade apparente serait de conclure que là où le courant n’est encore qu’un rêve, c’est toujours l’obscurantisme qui règne. Le développement n’y est pas.

Je ne reviens pas sur l’allégorie de la biche se mourant de soif au bord de l’eau. Nous sommes quand même bien bénis des dieux ! Des cours d’eau à foison ; une terre fertile ; une pluviométrie correcte ; du bois et du pétrole : mais depuis 43 ans, nous ne savons pas ce que nous faisons de ces richesses. Il n’y a pas même le plus petit début d’une nomenklatura de patrons sur place, qui essaimerait de Brazzaville à Pointe-Noire ; d’Owando à Ouesso des entreprises locales embauchant cette masse de jeunes désoeuvrés. L’amorce d’une bourgeoise bien à nous, transformant, exportant, commerçant ou marchandant : rien ! Ceux qui volent cachent leurs sous ailleurs.

On parle pourtant de corruption galopante au Congo. Elle n’est pas à rechercher dans des rapports de Transparency. A l’oeil nu, la corruption au Congo est visible. Que l’on veuille se faire établir un acte de naissance, un constat d’accident de circulation ; toucher une pension ou un chèque : il faut « mouiller la gorge », laisser le « madesso ya bana ». Mais ni même cela, qui touche le petit fonctionnaire (auteur et victime) et le commun de la hiérarchie, ne nous assure le visage d’un pays en développement.

Brazzaville, c’est des trous dans les rues, des délestages, le manque chronique d’eau courante, les ordures ménagères déversées ici et là, les hôpitaux où l’on se rend pour mourir, des cadavres puants entassés à la morgue. Et cela, depuis 43 ans.

Nous ne sommes pas en période de conflits. Les guerriers semblent s’être accordés une trêve. Mais les armes sont toujours en circulation. Et de temps en temps, le coup de feu qui sème le deuil : policier contre militaire ; milicien contre policier ; jeune indéfini contre vieux défini.

La paix, la vraie, nous ne l’avons jamais connue en 43 ans. Chaque fois, des événements de sang, sont venus nous rappeler que nous ne sommes pas encore mûrs pour le développement apaisé. C’est Matsokota et ses amis qu’on tue ; c’est la JMNR et ses hordes de soudards ; c’est Kiganga, Biayenda, Ngouabi, Massamba-Débat qui sont immolés ; c’est une guerre en 1993, une autre en 1997, une autre encore en 1998 et une dernière (?) en 1999 : 43 ans d’une vie haletante dans la destruction. Et tous les 15 août ont parle de développement.

Alors, à défaut d’attendre quoi que ce soit des politiques cette année, je nous invite à parler d’indépendance, oui, mais dans nos têtes. Poser les actes individuels qui marqueront l’indépendance de chacun, pour que tous soyons des indépendants. C’est la seule manière de croire que le 15 août veut dire quelque chose pour le Congo, toujours aux mains des intérêts et des influences étrangers.

Benda Bika

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