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La Dérive des continents N° 7

Quand je dis qu’on revint vers la civilisation, c’est une façon de parler ; vous l’avez compris. Car il fallut d’abord retrouver la grand’route ; se coltiner les 5 litres d’eau sacrée jusqu’à la gare. Et là, attendre, pépères. Le train pour Pointe-Noire avait un peu de retard. Car annoncé pour 15H18, il n’était pas encore là. Il est vrai qu’il n’était pas encore tout à fait 17H15. Tante Maguy, comme à son habitude, était impassible. Mais je la sentais plus relaxée : nous venions d’accomplir une mission de haute importance. Et, avec les recommandations dont notre tête était emplie, nous savions que le serpent n’avait plus qu’à bien se tenir. Nous avions 5 litres d’eau pure de la Loukoula : de quoi noyer des générations de vipères, avec ou sans pattes.

Toutefois, un petit incident mérite d’être relaté. Car au cours de notre temps d’attente, sur un banc méchant en béton armé, un individu nous approcha.

C’était l’homme du matin. Celui-là même qui nous avait indiqué le chemin en se grattant son ventre. Il vint fureter autour de nous d’abord, passa et repassa en nous lorgnant, ce qui eut l’agréable faculté d’énerver la tante. Mais elle garda son calme. C’est donc l’autre qui s’approcha, avec des propos très énigmatiques au départ.

 Je vois, dit-il sans aucune pudeur, que vous êtes allés chez le Prophète… et qu’il vous a donné de l’eau… sacrée ?

Que voulez-vous dire à cela ? On sentait l’homme désireux de parler. Nous le laissions faisions. Et attendions la suite (et le train).

 Oui, vous êtes allés chez le Pasteur… (Cela commençait à devenir un peu agaçant cette profusion de titres !)… Et il vous a donné de l’eau. Ce qui veut dire que vous avez tourné à droite, arrivés la Grotte-Froide. Moi, je vous avais dit de tourner à gauche !

Alors là, Tante Maguy faillit se ruer sur lui. Une telle impudence, c’était plus que nous ne pouvions en supporter en effet. Mais l’autre fourbe avait prévu la chose, sans doute. Mettant ses mains en avant, dans un geste d’apaisement, il pria ma tante de ne pas s’offusquer. Mais, vous connaissez ma tante ? elle ne pouvait pas laisser une telle profusion de sornettes. Alors elle attaqua, bile en tête. Verbalement s’entend.

 Dites donc vous ? Est-ce que votre mètre se rappelle encore d’avoir un fils ? Etes-vous né dans ces contrés ou venez-vous de Papouasie par l’effet de la dérive des continents ? N’est-ce pas vous qui nous avez indiqué le chemin, en levant votre bras de malafoutier ? avez-vous, un seul instant, précisé que la gauche avait un sens, et la droite non ? Et puis, qu’est-ce que ça peut bien vous faire : nous avions une mission à accomplir, nous l’avons accomplie, en quoi cela vous regarde-t-il ? Que notre eau soit du Gange ou de la Loukoula, où est votre problème ? Qu’elle bénite ou sacrée, en quoi cela vous dérange-t-il ?

 Oui, Madame, j’entends bien. Mais vous cherchiez un « Nganga Difombi », n’est-ce pas ?

 Et alors ?

 Eh ! bien, vous l’avez devant vous…

 ….

Je ne vous dis pas qu’on aurait entendu voler une mouche. Nous étions à presque 18H ; le soleil venait de baisser ; même les mouches ont des horaires syndicaux. Mais, c’est vrai, il se fit un silence. Tante se rassit. Moi, je me relaxais, retirant les mains de mes poches où elles caressaient quelques cailloux de circonstance.

 Quoi ! Vous êtes le « Nganga Difombi », vous ? Et pourquoi ne nous l’aviez-vous pas dit alors ?

 Pour vous permettre de choisir, Madame. Et vous avez bien fait d’aller voir le « missionnaire » d’abord. Moi, je ne bénis pas d’eau ; je lis dans les âmes, seulement. Et je lis dans votre cœur un grand trouble. Je lis dans les yeux de jeune garçon un peu de tristesse. L’affaire doit être grave ; expliquez-moi tout.

 Quoi ? Ici ? demanda ma tante.

C’est ainsi que nous recommençâmes le récit de nos malheur auprès de ce type qui n’était finalement pas si mal. Tante fut sobre, moi prolixe, exhaustif et complet : sincère. J’expliquais comment la Vipérine avait arraché et déchiré nos posters, nos dicos ; comment elle était partie avec une aile de taxi alors que Tante Maguy s’apprêtait à régler la course ; comment elle avait clamé dans tout le quartier qu’elle tuerait Samson Boubi, le Chef de Bloc ; comment Firmin, mon doux cousin était devenu nul en maths à cause d’elle. Je dis tout, tout et tout et n’oubliai rien.

 Voyez ? dit ma Tante ; la vérité sort de la bouche des enfants !

L’homme acquiesça longuement de la tête et eut, lui aussi, le même verdict : « l’affaire est grave. Très, très grave ». Tante Maguy sortit les derniers billets de banque. Et l’homme lui remit trois noix de kola…

 Prenez cela, dit-il, et vous verrez des changements.

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Le retour à Brazzaville fut paisible. C’est l’entrée dans la parcelle qui le fut moins. Les changements n’avaient pas tardé à se réaliser en notre absence. La vipère avait frappé.

(A suivre)

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