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La Paix

- L’Editorial de Benda Bika -

Il n’est sans doute pas de trop, au moment où le monde n’est que fureurs et fracas de guerre, de souffler un peu dans notre petit Congo exsangue. Et de se réjouir. Le 17 mars dernier, les Ninjas de Ntumi ont signé la paix avec le gouvernement. Une semaine plus tard les deux camps ont libéré leurs prisonniers (je ne savais pas qu’il y en avait !). On parle de quelque 350 miliciens sur le point de rentrer à Brazzaville, se mettre dans les rangs, pour la paix ! Bagdad brûle, Brazzaville enterre sa hache de guerre : sacrés farceurs de Congolais !

Pourtant, cette paix-là fait venir deux sentiments contradictoires. On ne peut, en effet, s’empêcher de penser que les choses eussent pu être autrement. Qu’une guerre eût pu être évitée. Un an d’une succession de violences dans le Pool ont mis une région à genoux, et un pays au bord de l’étranglement. Un an de viols, de pillages, d’assassinats et de tortures diverses. Je me réjouis que cela prenne fin. Mais d’un autre côté, j’éprouve de l’amertume.

Joie, oui. Car cette longue chaîne de souffrances, qu’on l’appelle violence, guerre, rébellion ou résistance n’a eu qu’une seule victime, celle de toujours. C’est ce peuple contraint de fuir dans les forêts, errer dans les savanes, fuir et fuir toujours devant les Cobras comme devant les Ninjas, qui a payé le seul tribut vrai d’un conflit curieux : sans cause, sans motivation, sans gains avérés. Ce peuple va enfin souffler.

Amertume quand-même, justement parce qu’il n’y avait aucune cause défendue avec netteté dans cette violence infligée. La paix du 17 mars scelle comme une entente de mafieux. Les uns ont violé, les autres ont pillé ; les uns et les autres ont tué leur propre peuple : on se serre la main et on va oublier, sur le dos des victimes ! D’autant que l’entente s’est scellée sur la promesse d’une amnistie des actes de barbarie commis par les deux camps. Alors, les sbires de tous bords vont intégrer notre armée et devenir des gardiens de la loi et de la vertus, eux qui hier n’étaient que « gifles de Saint Michel » et quéquettes en batterie.

J’ai du mal à imaginer la rencontre de cette veille mère, violée à l’intérieur de l’Eglise de Vôka, avec son agresseur, chargé demain de réguler la circulation ou faire le guet devant quelque palais ! J’ai du mal à me représenter la justification que les uns et les autres donneront à ces villages abandonnés, aux maisons détôlées, aux arbres fruitiers abattus dans un Pool vivant d’agriculture.

Si au moins, ces violences-ci nous garantissaient un futur sans autre versement de sang ! Or, c’est une leçon de l’Histoire jamais apprise par les hommes : la bêtise est une paramécie qui se reproduit toujours sur les fumeroles de ses « plus jamais ça ! » déclamés. On l’avait dit en 1918, déjà. Mais depuis lors, comptons les Verdun, Guernica, Oradour, Dien Bien Phu, Les Aurès, Bulawayo, Huambo, Kolwezi, Ouvéa, Kinkala… et aujourd’hui Bassorah : la bête est grasse de sa bêtise déployée à l’infini, dans son abjecte horreur de toujours.

Quel futur nous promet une paix posée tel un sparadrap de misère sur une plaie suppurante ? Quelle est l’étendue de notre propre traumatisme et la possibilité de le surmonter au nom de la nation à bâtir ensemble ? Quel mécanisme de dépassement pour ce viol collectif de notre innocente naïveté de peuple ? Quel ressort animera jamais nos acteurs macabres à ne plus nous jouer ce film-là ?

J’aurais tant voulu dire qu’ils ont fait une bonne chose et m’en tenir là. S’il n’y avait cette petite voix qui a du mal à applaudir les pompiers pyromanes qui brandissent aujourd’hui les allumettes avec lesquelles ils ont signé la paix hier.

Sassou Nguesso est sur la liste des justiciables auprès de la Cour belge qui se reconnaît une compétence universelle. Ntumi sera-t-il cité comme témoin ? A charge ou à décharge ?

Benda Bika

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