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Film des évènements

Le 10 septembre 2007 : le jour où Ntoumi est venu à Brazzaville

Si le 10 septembre 2007, un Bordelais prétend avoir croisé Jean-Gustave Ntondo au bord de la Garonne, il aura menti car, ce jour-là, ce conseiller de Ntoumi a un alibi en béton armé : il était au Congo, aux côtés du Révérend de Loukouo, à bord d’un cortège se rendant à Brazzaville où selon les accords avec le régime de Mpila, le président du CNR devait prendre ses fonctions de ministre. C’est ce qu’indique, en tout cas, le document filmé qui retrace cette mémorable journée où la guerre civile fut à deux doigts d’être activée à Brazzaville.

Selon l’image d’Epinal, on imaginait les Nsiloulou le couteau entre les dents, le corps bâti sur le modèle des commandos des films d’action, les yeux injectés de sang. Erreur : le village est sillonné de jeunes en jean’s, T-shirts blancs, vestes à la coupe douteuse, quelques treillis, pas de casques, des bonnets de rastas, des chaussures de sport, rarement des rangers ; on donnerait à certains le bon dieu sans confession.

Nsiloulou peu avant la montée sur Brazzaville

De toute façon, ils ont l’air désoeuvré. Des années de forêt ça vous transforme un être humain et, qu’on ne s’y trompe pas : l’enfant sauvage de Lucien Malson est loin de servir ici de modèle pour pénétrer la psychologie des sujets. Ils ont un raisonnement politique qui tranche avec leur apparence. Tout se passe comme si la rupture avec la civilisation avait développé leur acuité philosophique. "Nous sommes dans une logique positiviste" souligne l’un d’eux quand il analyse la transition qu’il vont effectuer du maquis vers la ville. Il veut sans doute dire que leur combat s’inscrit dans une démarche juste au bout de laquelle triompher la liberté, c’est-à-dire la vie.

Ntoumi se prépare pour Brazzaville

Casting
Ce matin du 10 septembre 2007, règne une ambiance de fête dans ce coin rural du Pool, village où Ntoumi a installé son fief depuis qu’il avait décidé d’entrer en résistance en 1997.
Micro à la main, un journaliste recueille l’atmosphère peu de temps avant le départ de la délégation vers la capitale. Le nom du village n’est pas mentionné. On suppose qu’il s’agit de Loukouo ou peut-être de Vindza. Les maisons ne sont pas cossues. Elles sont bâties au milieu de palmiers, de bananiers, de papayers et de badamiers. La grand place grouille de monde. Des ninjas en civil, kalachnikovs en bandoulière, frémissent à l’idée de rompre enfin dix ans de vie dans le maquis. La caméra fait un plan sur le maître des lieux qui vient de franchir une palissade de fortune. Sourire aux lèvres, le leader Ninja est vêtu d’un costume sombre sur une chemise blanche sans cravate. Il est propre. Sa mise semble répondre aux critères de la "sapologie", preuve qu’il y a toujours un crack qui sommeille en chaque Congolais. A l’inverse des "rastas" qui l’entourent, le Révérend ne porte pas sa légendaire tignasse. Il a conservé sa barbichette comme si les préparatifs de son voyage ne représentaient pas un enjeu suffisant pour sacrifier ce trait de son look. De ce fait, ce bouc légendaire qui le caractérise contraste avec la régularité esthétique qu’il vient de donner à ses cheveux noirs parsemés de quelque rare épis grisonnant. Inaction ou aisance, le chef a pris un peu d’embonpoint. Un vrai ministrable.
Des commentaires fusent ça et là sur l’idée que les Nsiloulou (combattants de Ntoumi) se font de leur séjour dans la brousse depuis 1997 et de tout le bien qu’ils pensent du « nkouyou wa mounéné » qui siège à Brazzaville (traduisez Sassou). En fait ils veulent se donner de la contenance ; d’où leur intense débit oratoire caractérisé par des recours incongrus au lingala, langue qui est loin d’être adulée dans ce fief de l’opposition au régime de Brazzaville

Image de dix ans de maquis

Un Nsiloulou auquel la question est posée balaie de la main le soupçon de collusion largement répandu entre Sassou et la rébellion de Ntoumi dans le Pool. Certains ont parlé de double-jeu, voire de double-jeu dans le double-jeu.
Serein, Ntoumi répond aux questions du journaliste en soulignant la mauvaise foi de ceux de l’autre bord qui lui promettent un poste mais n’envoient ni argent ni moyens de transport pour lui faciliter la tâche.
« C’est un Etat, il peut le faire, pourquoi ne fait-il pas signe de vie ? » se demande-t-il dans un discours alternant le français et le lari mais curieusement dénué de références bibliques comme à l’accoutumée.
Les véhicules 4X4 dont nous disposons, précise-t-il (sans nous éclairer davantage) ne proviennent pas de l’Etat congolais. Passant d’un sujet à l’autre, Ntoumi aborde la question du désarmement et de la réinsertion des miliciens à laquelle n’est pas insensible l’Union Européenne qui, rappelle-t-il, avait menacé orienter son aide financiaire vers d’autres cieux si les Congolais continuaient à se tourner les pouces. Précisons que Ntoumi a été reçu à son permis de conduire. Il pilotera tout à l’heure sa rutilante GMC (General Motors Compagnie) sur la provenance de laquelle il ne dira mot. Mais qui donc finance le maquis ? Répondre à cette question c’est faire un pas de géant dans la compréhension des malheurs qui frappent le Congo.

Cortège à destination de Brazzaville

Visiblement Ntoumi n’est pas rassuré par ceux d’en face. Mais, dit-il, pour ne pas leur donner raison dans leur image de fauteur de trouble qu’ils ont dressée de lui, il fera le voyage de Brazzaville, pour qu’il donne, lui aussi, sa « version des faits ». Comment ? En tenant une série de meetings le long de son parcours dès son entrée à Brazzaville et notamment au Centre Sportif de Bacongo où il s’exprimera plus longuement avant d’aller prendre sa charge ministérielle, manifestement, au Palais du Peuple, le tout, suivant un programme réglé comme sur du papier de musique. Mais nous verrons, plus loin, que Sassou propose, Ntoumi dispose, la mauvaise foi s’interpose.
On doit en effet compter avec les couac : Ntoumi comptait faire le voyage de Brazzaville le 5 septembre ; il opta pour le 10 du même mois, date laquelle il n’était pas attendu puisque Sasseu s’était arrangé, comme par hasard pour se barrer à Ouagadougou. Ce fut un superbe lapin comme sait les poser "L’homme du 5 juin 1997"
Sassou est donc absent de Brazzaville : de cette anomalie, Ntoumi n’y fait aucune allusion, pas même e façon furtive. Peut-être parce que garantie lui est donnée au téléphone par Alain Akouala et Firmin Ayessa, deux pièces-maîtresses dont les noms reviennent régulièrement dans ses propos ce matin du 10 septembre 2007. « Oui c’était bon »
« Vous pouvez prendre la route monsieur le ministre ».
« Mais si, je suis un homme de terrain » le rassure Alain Atiplault Akouala à qui Ntoumi fait remarquer au téléphone que la foule est parfois difficile à contenir.
Bref, le village est plein de vitalité en ce jour du grand départ. Chacun consulte sa montre.

Silence on tourne

La délégation prend enfin la route. Elle forme un cortège d’au moins dix véhicules (tous phares allumés) de types 4X4 dont un camion de transport de marchandises rempli de Ninjas. Ntoumi ne veut pas se laisser conduire. Il est, disions-nous, au volant d’une luxueuse voiture américaine noire. Il a pris imprudemment la tête du cortège. La route semble bonne. Elle est goudronnée.

En route pour Brazaville ce 10 septembre 2007

Le service d’ordre de Ntoumi est redoutable et radicale car le cortège ne croise aucun véhicule sur sa route. La route est, par la force des choses, transformée en voie à sens unique. C’est ça aussi la dictature que fait régner Ntoumi dans le Pool : stopper à sa guise les activités économiques de la région. La qualité de la route est surprenante. C’est le tronçon bitumé grâce à l’aide de l’Union Européenne. La rapidité d’exécution des travaux renforce un cliché : Sassou ne veut pas doter à dessein le Congo d’un réseau routier. La camera balaie la campagne que dominent de vastes étendues de forêts. On devine les tondolo et les mbalango et autres plantes sauvages qui caractérisentla flore du Pool. La verdure de la nature donne au cortège une allure de boy-scouts en route pour un pique-nique écologoqique. Le chant des oiseaux déchire le silence de l’atmosphère en cette journée printanière tandis que, dans les vallées, coulent des rivières qu’on imagine poissonneuses. On ne le voit pas, mais on soupçonne le gibier qui se faufile dans le sous-bois que la lumière du jour, stoppée par la canopée, a du mal à atteindre. La nationale 1 serpente à travers cette luxuriante nature qui inspira Jean Malonga dans sa Légende de M’pfumu ma Mazono. Les véhicules avalent l’asphalte à une vitesse raisonnable. La camera télescopique fixe à jamais sur sa pellicule cette étrange scène rurale dont les acteurs qui la composent ne seront peut-être plus de ce monde à la fin de la journée. On aurait dit une ballade en villégiature. Pourtant c’est d’une tragédie qu’il s’agit ; une de plus à laquelle des apprentis sorciers ont habitué les Congolais voici bientôt deux décennies.
Les premières masures de la banlieue sud de Brazzaville sont en vue : Ngangalingolo, Loua, Sangolo, Madibou Mafouta, Simou Djoué copient leur misérables architecture aux favelas sud-américaines. Ca respire la pauvreté. Les riverains, le regard hagard, observent l’étrange cortège qui n’a rien d’officiel mais plutôt quelque chose de métaphysique qui réveille dans leur subconscient de très récents mauvais souvenirs.
La séquence est rapide mais la caméra braque son objectif sur une ménagère qui entre littéralement en transe comme une adepte du rite brésilien du candomblé : de savoir Ntoumi dans les parages, en chair et en os, est une perspective qui arrive probablement à bout de ses nerfs déjà traumatisés par les évènements antérieurs. On peut appeler cette pathologie « syndrome du 18 décembre ».
A partir de Madibou, la délégation de Loukouo quitte les véhicules et s’emploie à faire le reste de la route à pied. Au fur et à mesure que le cortège avance, grossit la foule qui suit comme le Christ, Ntoumi. Celui-ci est d’un calme olympien. Qui pourrait imaginer qu’il a beaucoup de morts sur la conscience ?
Saisissant un mégaphone, il parle à la foule, explique les raisons de sa présence là et maintenant. C’est le même message qui est délivré depuis ce matin : « je suis venu parce qu’on m’a dit de venir ; comme aucun moyen ne m’a été fourni, aucun délégué venu me chercher, je suis venus par mes propres moyens » psalmodie-t-il dans son haut-parleur.
« Je suis venu également donner ma version des faits, on m’a longtemps affublé d’une sale veste » explique-t-il à la foule toute ouïe.
« Vous serez témoins. Hier ceux qui avaient traversé par le Beach avaient été tués. Les dossiers sont en cours » rappelle le chef rebelle, l’air de dire, que le gouvernement n’est pas digne de confiance et que deux précautions valant mieux qu’une, lui, Ntouli, a su garder ses arrières en cas de coup foireux et de coup fourré.
Soudain, mouvement de panique, une partie de la foule veut prendre la clef des champs.
« Calmez-vous ! » dit-il calmement. Droits comme un « I » Ntondo Jean-Gustave et d’autres membres de la délégation, observent, en silence, la foule placée devant un dilemme : rester écouter les paroles de Ntoumi ou prendre ses jambes à son cou.
« Ka lou dioka ndi ! Hâ ba bantou ni bo kwa » (gardez votre sang froid. Où il y a foule la panique n’est jamais loin.)
Le calme revient.
« Ils nous ont dit de venir sans armes. Nous en avons amené 30. C’est le seul nombre qu’ils nous ont imposé. Toutefois, nous avons demandé que pour la sécurité, les leurs et les nôtres travaillent de connivence mais sans armes. Il est normal que nous ayons un regard dans les services de sécurité » dit Ntoumi qui vient de dresser son siège à Madibou.

Foule faisant le pied de grue au Centre Sportif de Bacongo

« Je vous donnerai plus de détails au Centre Sportif où je tiendrai mon meeting avant de continuer vers la présidence »
Assis sur une chaise de fortune, le Révérend est entouré de son Etat-major. Ce PC est situé au pied d’un mur de parpaings gris. Ce décor romain est stupéfiant : les membres du « gouvernement de Ntoumi » sont assis, pour certains, sur des chaises brinquebalantes, sur le sol pour d’autres, à l’ombre d’un manguier.
Aucun « officiel » n’est en vue. Aucun officiel sauf un homme vêtu de l’habit religieux et s’exprimant avec un accent étranger. Le portable de Ntoumi sonne à intervalle irrégulière.
« Le Dr. Gozardo est en train de négocier à la primature » di Ntoumi. « J’ai dit à mes hommes de ne pas effrayer les populations avec les armes »
Après avoir longuement écouté Ntoumi, le révérend camerounais qui donne du "Monsieur le pasteur" à Ntoumi, essaie de le raisonner.
« Mais vous n’êtes pas décideur » lui fait observer Ntoumi. « Ceux qui sont aux postes de décision ne sont pas là ».
« Des faucons de guerre, il y en a partout » réplique le facilitateur religieux qui dit avoir résolu beaucoup de conflits en Afrique. Peine perdue. Ntoumi s’en tient à son discours.

Les bons offices du "facilitateur" religieux

De toute façon il s’est donné la peine de faire le déplacement. On ne peut pas dire qu’il ne veut pas jouer le jeu de la paix. Mais tout se passe comme si certains voulaient gagner du temps. Ca sent le piège.
Pour illustrer la complexité du jeu, survient l’inénarrable Willy Matsanga. Il est reçu à la table où Ntoumi attend les consignes. Les deux hommes se saluent longuement, l’air de se dire « on est tous les deux tillés dans le même bois hautement inflammable ».
Ntoumi invite son étrange hôte à s’asseoir et, rebelote, lui lit sa feuille de route.
Approcher Ntoumi n’est pas facile. Le curé camerounais en a fait l’amère expérience. Un certain Euloge, lieutenant de Ntoumi chargé d’établir un barrage en amont de Madibou, s’est immédiatement mis à genoux dès que Ntoumi lui a intimé l’ordre au téléphone de baisser la garde. « Ce n’est qu’à ce moment j’ai pu passer » avoue-t-il, stupéfait.

Willy Matsanga (gauche) reçu par Ntoumi à son PC de fortune

Avec son statut ambigu, Willy Matsanga a réussi à passer les barrages. Après avoir écouté docilement Ntoumi, Willy se lance dans une longue intervention où il semble prendre parti pour Ntoumi en notant que l’heure avançait (il était cinq heures de l’après-midi) et que la nuit, tous les coups étaient permis. Donc vigilance.
Le député de Makélékélé porte une veste beige et un pantalon sombre : demi-Dakar. Prudent comme un Sioux, sous sa veste, on devine, dissimulé, un gilet pare-balle. Le gilet lui donne un air volumineux.
Sonnerie de portable : Ntoumi répond immédiatement, coupant Willy Matsanga dans son élan verbal. Ntoumi s’anime au téléphone. On devine que, à l’autre bout du fil, essaie de se justifier un officiel du régime, probablement Alain Akoualat.

De guerre lasse, Ntoumi vient de comprendre que ce n’est pas pour cette fois. "Je rentre chez moi" : c’est ce qu’il dit à ses interlocuteurs

Assis sans élégance sur sa chaise, plus personne ne prête attention à l’estafette Willy Matsanga, porteur d’un message personnel sur le contenu duquel Ntoumi n’a pratiquement pas prêté le moindre intérêt bien qu’il l’ait écouté avec une profonde politesse. Le temps passe, rien ne se passe.

Hélicoptère survolant les quartiers sud ce 10 septembre 2007

« Qui pourra garantir la sécurité des individus quand il fera nuit ? » ne cesse de se demander Ntoumi qui sait très bien de quoi sont capables les hommes en arme lorsqu’augmente la tension en même temps que baisse la lumière du jour. Des rires francs peuvent franchement se transformer en rires carnassiers à la faveur de la nuit. Ntoumi prend la décision de lever son camp.
Les hélicoptères du régime déchirent l’espace au dessus de Madibou. Le bruit des avions, assourdissant, n’est pas pour apaiser les esprits. La rumeur circule que les militaires de Sassou auraient pris position à Loukouo, profitant de l’absence de Ntoumi.
Là-bas, à Mavoula, au Centre Sportif de Bacongo, un groupe de musique fait patienter la foule. L’orchestre est bon. Les chœurs sonnent juste. Un danseur façon "mouyirika très fâché" fait le clown.
mais l’heure n’est plus vraiment à la fête.

Echec et mat : Ntoumi et les siens repartent dans la forêt

Pendant ce temps, à Simou-Djoué, Ntoumi et les siens commencent à rebrousser chemin à pied, en silence ; un silence rendu sinistre par le bruit des bottes. Ce n’est pas dans une semaine qu’il va revenir « occuper son poste » même si on le lui demande (a-t-il dit)
Coupez, on ne tourne plus.
Epilogue : peu de temps avant la St-Sylvestre, Sassou intima Ntoumi de vite venir prendre son poste.
On ne sait pas qui de Sassou et de Ntoumi est le plus fourbe dans ce joli poker/menteur.

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