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Les pilleurs du 31 janvier 2015 arrêtés

Après les « pillages » du 31 janvier 2015, la police et la justice congolaises peuvent se réjouir de l’épilogue. On a lancé un coup de filet. La pêche a été bonne. Les coupables ont été arrêtés. On peut lire dans la « Pravda de Mpila » (entendez Les Dépêches de Brazzaville du 4 février 2015) le satisfécit du Pouvoir. «  Les présumés auteurs des violences ayant suivi l’élimination des Diables rouges du Congo par les Léopards de la République démocratique du Congo (RDC) ont été présentés à la presse, le 3 février, en présence du procureur de la République, André Oko Ngakala. »

Selon Les Dépêches la police aurait arrêté 78 personnes dont « 74 Congolais (59 hommes, quatorze femmes, un mineur de 13 ans) et quatre Centrafricains. » Vous avez bien lu : un gamin d’un peu plus de dix ans parmi les « bandits ». Vous avez bien lu : des koulounas originaires de Bangui. Nos frères Kinois d’en face ne sont plus là pour être « chargés ».

En fait la pêche a été maigre. Moins de cent personnes qui tombent dans les filets de la police. 78 interpellations. Une paille dans une botte de foin. Une goutte d’eau dans l’océan de l’insurrection. Sans doute des « meneurs », car pourtant selon les mauvaises langues c’est une bonne frange de la jeunesse congolaise, « incivique », qui était descendue dans la rue. Autant dire : ce sont des bouc-émissaires que la police nous a présentés, des alevins, du menu fretin.

La police a présenté des pièces à conviction constituées de marchandises « y compris des armes (machettes et des PMAK) ». Pour les condés, les bandits étaient armés. De quoi légitimer davantage leur arrestation aux regard des braves gens que nous sommes. Des kalachnikovs ! Mon Dieu comme on l’a échappé bel.

Il faut dire que le dossier a été vite instruit. Les casseurs sont présentés par le colonel Jules Monkala-Tchoumou comme des personnes en «  âge scolaire qui, malheureusement pour la plupart d’entre eux, ont abandonné le chemin de l’école et se livrent au grand banditisme »

Donc des récidivistes. Ca suppose qu’ils ont un « casier judiciaire ». Reste que « les enquêtes sont toujours en cours pour élucider le comportement des uns et les autres. » a ajouté le colonel sans préciser (ce dont on peut douter) si on leur a commis des avocats d’office comme dans toute... démocratie qui se respecte..

D’après le journal gouvernemental, la soixantaine de pillards s’était répandue dans toute la ville puisque « 34 l’ont été au niveau du commissariat central de la Tsiémé (Talangaï/Djiri) ; 16 à celui du Djoué (Makélékélé/Madibou) ; 10 au Plateau (Bacongo/Moungali/Poto-Poto) et 18 au commissariat central de Mfoa). »
Finalement qu’ont-ils pillé : des commissariats ou des épiceries ? On se le demande.

Dénonciations

A propos des arrestations des auteurs de la mise à sac de la superette Asia , la police a bénéficié de la délation des riverains. Les pilleurs ont été « dénoncés par des citoyens honnêtes qui ont conduit la police à leur domicile et les perquisitions ont révélé qu’effectivement elles ont pris part à ce pillage parce que des objets ont été retrouvés dans leurs domiciles  » a dit, l’air satisfait, un colonel, un certain Monkala-Tchoumou.

Brazzaville n’a pas été le seul champ de pillage. A Kinkala dans le Pool « vingt personnes ont été interpellées pour un pillage dans la zone de Bifouti. » Comme l’honnêteté paie sous Sassou !

Allez savoir si ces « citoyens honnêtes » n’ont pas été torturés pour dénoncer les présumés pillards.

La « Pravda » de Pigasse ne fait pas mention d’Oyo dans La Cuvette où on a également pillé. Ouesso, Pointe-Noire n’ont pas échappé à la rage des vandales. Mais le journal gouvernemental n’en dit mot.

Blessures et décès

Les dégâts corporels sont importants, en fait « dix-sept blessés légers dûs à la fuite lors des patrouilles ont été enregistrés ; une personne a été grièvement blessée par machette à Massengo dans le 9e arrondissement Djiri.  » La victime se trouverait « dans un état très critique au CHU de Brazzaville.  » Pronostic vital engagé.

Les crises cardiaques auraient également fait des ravages. La police signale « deux cas de décès … par AVC ». On ne dit pas si ces crises cardiaques ont été enregistrées parmi les pilleurs ou chez ceux qui n’ont pas supporté les quatre buts des Léopards marqués en 35 minutes. Autre dégât collatéral, un accident dont a été victime «  un jeune de 17 ans tombé du haut d’un véhicule lors d’un carnaval avant le match. »

Aucun mot sur l’adolescent tué par balle dont le corps a été exposé sur Facebook.

Il y a eu couvre-feu car le « Pouvoir » selon « Les Dépêches  » a déployé «  près de 2500 policiers, gendarmes et militaires » ; un couvre-feu, ainsi que le signale Congo-Liberty, manifestement violé, étant donné les arrestations.

Les présumés coupables, selon le procureur de la République André Oko Ngakala, sont promis à un sévère destin. Ce magistrat a indiqué qu’il est content du « travail abattu par les services de police. En raison de l’extrême gravité des faits et des conséquences qui en résultent, conformément à la loi » et a prescrit aux enquêteurs de « clôturer leur enquête et de (lui) déférer dans les plus brefs délais les mis-en cause »

Voilà pour les suites judiciaires, voilà pour la mascarade. Voilà ce que débitent Les Dépêches de Brazzaville sous la plume d’un certain Parfait Wilfrid Douniama.

Saison sèche

Il est ahurissant de noter que les autorités de Brazzaville persistent de croire qu’il s’agissait de vandales et rien d’autre. Une lecture plus contextuelle aurait pourtant permis de voir le rapport entre les « pillages » et le malaise qui mine la société congolaise depuis que L’homme du 5 juin 1997 a brandi l’épouvantail du référendum. Il faut faire comme l’autruche qui se cache la tête dans le sable pour ne pas voir ce qui se présente comme un prélude au printemps arabe en Afrique Centrale ou (pour ne pas être hors saison) comme un début de « saison sèche » sous l’Equateur.

Résistance

Il faut surtout être obtus pour ne pas penser que les « sorties sociales » dues à la défaite sportive face au voisin de la rive gauche sont un prétexte pour tester la capacité de résistance du pouvoir de Sassou. Ce qui est arrivé le 31 janvier dernier est en fait un coup de butoir assené au régime de Sassou totalement inamovible depuis le coup d’état du 5 juin 1997.

Et, de l’avis des observateurs, le caïd de Mpila n’est pas si terrifiant que ça, puisque malgré l’appareil de répression « engagé sur le terrain » ce samedi-là, des enfants de 13 ans ont osé braver son pouvoir. Puis, comble de tout, sa fille Claudia dit Coco, a eu son siège de députée saccagé à Talangaï. En définitive Coco la Belle n’est pas si aimée que ça dans sa circonscription. Elle y déversa des millions pour acheter sa députation. Aujourd’hui le siège de la malheureuse élue du peuple est littéralement parti en fumée.

« On les croyait amorphes, tétanisés par la peur de l’armée et la police tribalo-sanguinaire de Sassou, mais les Congolais ont prouvé qu’ils étaient capables de défier les armes et les blindés d’un régime aux abois. » analyse Gandi Mwana Bwala (Congo-Liberty 2 février 2015). Oui, les Congolais sont entrés en résistance comme les Français sous l’Occupation allemande.

Pillage ou avant-goût d’insurrection ?

Les Dépêches de Brazzaville ont un problème de terminologie et, nos flics et juges un problème de qualification de délits. On nous parle de déscolarisés, de voyous, de drogués, de koulouna, de fauteurs de troubles, de simples pillards là où tout le monde voit la résistance. A-t-on jamais vu des « pilleurs » s’en prendre aux symboles politiques plutôt qu’à de la marchandise ? Depuis quand les bandits, les « sauvageons » marchent-ils en colonne dans la ville, scandant des slogans hostiles au régime ? Or c’est ce qui s’est passé dans les artères principales de la ville, de Djiri au Pont Djoué.

Des vidéos circulent sur les réseaux sociaux où des groupes de jeunes sillonnent les rues de la ville narguant la force publique, comme s’ils voulaient en découdre avec la force politique de Sassou.

De toute façon, il n’y a de pillage que sous l’effet de la crise économique. Victor Hugo disait que plutôt de s’en prendre aux misérables, il faut combattre la misère. Or ce n’est pas avec la gestion chaotique du pétrole que Sassou va vaincre la misère structurelle qui sévit au Congo. Les gens pillent parce qu’ils ont faim. C’est même énervant de rappeler cette explication des « casses » car on n’a pas besoin d’être clerc pour le comprendre.

« Extrême gravité des faits  » dit, cruel, le juge Oko-Ngakala. Voler à l’étalage pour manger ou étaler sa richesse dans la société après avoir ruiné l’Etat : qu’est-ce qui est plus grave au regard de l’éthique morale ?

Le procureur André Oko-Ngakala ne sait-il pas que 90% de Congolais vivent en dessous du seuil de la pauvreté ? S’il y a des « mis en cause  » qu’il doit déférer devant la justice, s’il y a de vrais sauvages qu’il faut mettre au frais c’est bien des individus comme Willy Nguesso, Kiki, Koko Sassou. Mais comme c’est un juge inique, comme il est corrompu, comme c’est un adepte du népotisme, le camarade André Oko-Ngakala ne s’attaquera jamais au vrais criminels, ceux qui « en col blanc » sévissent au sommet de l’Etat et dans le nid de vipère clanique dans le lequel Sassou a logé son pouvoir.

Le lion d’Oyo

Le neveu Willy Nguesso a vu ses biens mal acquis saisis récemment à Paris. Rigobert Ossébi nous rapporte que « Curieusement dans cette affaire de perquisitions et de saisies de voitures de luxe, le général-instituteur a fait profil bas, très bas… » (Congo-Liberty du 2 février 205)
Mais que peut-il faire à un moment où François Hollande, Barack Obama, Ba-ki-Moon, lui disent de rendre le tablier avant 2016 s’il ne veut pas qu’on lui applique un « Plan B » inspiré du cas de figure Burkinabé.

« Le lion, en fin de règne, n’est plus que vieux et usé ! » ajoute Rigobert Ossébi
« Dans la jungle, terrible jungle, chantait Serge Gainsbourg, le lion est mort ce soir. Plus de rage, plus de carnage, le lion est mort ce soir. »

Le grand soir, espèrent 90% de Congolais, c’est pour bientôt ?

Thierry Oko

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