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Misère

L’un des nôtres, de retour d’un voyage instructif au pays, a convoyé jusqu’ici la formule de Raffarin, en disant qu’il avait visité le "Congo d’en-bas". L’image a eu, même ici, le succès qu’elle a connu chez son auteur premier. Congo d’en bas, Congo des oubliés ; bas-fond de la société ; lie d’un développement où n’arriveraient par saccades que les miettes échappées d’une modernité retenue par en-haut. La misère.

Pourtant, après avoir visité une partie du Congo moi aussi, j’ai peine à parler d’un Congo d’en-bas. Non pas qu’il n’existerait pas ! Non pas que le bonheur suintant aurait gagné toutes les couches de notre société ! Non que le lait et le miel se mettraient à couler dès le bas de sa natte : non. Ce que je veux dire est plus vrai et plus grave : tout un pays suinte la misère ; absolument tout !

Au point qu’on a un peu le vertige, en constatant que cette misère se décline sous des formes terribles et inattendues. Mais on la trouve absolument partout ! Elle est dans les conditions de vie ; dans cette mère endormie à une veillée, qui protège son enfant par une serviette incolore et puante, alors qu’on peut compter jusqu’à neuf moustiques bien repus, sur ses mollets dénudés !

Elle est dans cet hôpital où les malades, leurs gardes (des membres de famille) voisinent avec les morts de la veille, que l’on ne peut dégager avant l’aube parce que l’ascenseur ne marche pas et que les garde-malades (les vrais) ne sont pas là. Elle est dans ce corbillard, arrêté en pleine avenue Miadéka, en panne d’essence ; son conducteur faisant passer son chapeau pour une quête improvisée, parmi les pleureuses du mort qui attend, lui, qu’on fasse le plein.

Elle est dans une télévision où la pauvreté de l’image vous abîme encore plus la vue lorsque, sans explication aucune, le son du télé-journal disparaît et que le présentateur continue, imperturbable : Charlot au temps du muet. Elle est dans un bureau de ministère où le carton qui remplace le carreau de la fenêtre tombe et laisse passer une chaleur de fournaise dans un bureau où « on a vu pire, vous savez ! ».

Elle se love même dans une église où le curé rit de la subite coupure d’électricité, là où il faut se révolter et jurer ses mille dieux contre les mauvais gestionnaires de l’Etat qui vous parlent "délestage". Elle est dans le sachet dans lequel on vous sert aussi bien le pétrole, l’huile, le coca que le riz ou le foufou : sachet non bio-dégradable.

Elle est dans cet agent de la Société nationale d’électricité surgie brutalement de nulle part devant ma voiture, à qui je fais remarquer qu’il aurait dû placer un panneau « Attention Travaux ! » et qui me répond, hargneux, que je ne suis pas le premier automobiliste à être passé devant son trou… et pendant ce temps, derrière moi, les autres conducteurs cornent à l’envie en m’insultant, moi, car je veux « prouver on-ne-sait-quoi ! »

Elle est dans les discours de ces responsables politiques, pauvres en espérances mais pleins de bilans et de chiffres, "croissance raffermie", d’inflation, perspectives et prospectives, et qui doivent patienter une heure dans leur bureau après fermeture, dans l’attente du chauffeur « qui est parti négocier » de l’essence chez les Khadafis.

Elle est dans ces pratiques inouïes d’un Président du Conseil constitutionnel pouvant annuler une conférence de presse, « sur ordre du Président de la République »… Et dans ces journalistes qui remballent leur matériel, dociles à la parole de l’oracle, rompus aux jeux des décommadations et annulations de dernière heure et surpris de vous entendre gueuler. « Ici, c’est comme ça ! »

Comme ça, c’est à dire que le Congo d’en-haut n’est pas si haut, puisque le Congo d’en-bas n’est pas si bas non plus : il y a un peu de la misère des uns chez les autres. Comme qui dirait un nivellement par le bas. Une manière d’émousser les indignations et de vous voir hausser les épaules, pour continuer à (sur)vivre, sans vous plaindre. D’ailleurs à qui, puisque le juge vous demandera le crayon de sa signature. Et que le policier n’aura pas le papier de son formulaire, et/ou que vous devrez, en plus, le ramener chez lui dans votre propre voiture ?

Benda Bika

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