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Nécrologie

Mort d’un journaliste : Gislin Simplice Ongouya

C’est toujours une perte insupportable quand le monde de la presse s’endeuille. Gislin Simplice Ogouya, directeur de "L’Observateur", est décédé à Brazzaville ce mercredi 28 novembre 2007. Ce philosophe de formation a rejoint le monde platonicien des idées. Il n’y a pas meilleur refuge pour un philosophe que de se réincarner dans cet univers immatériel.

Gislin Simplice Ongouya, directeur de l’hebdomadaire L’Observateur vient de nous quitter. Il avait 40 ans. Il est décédé au CHU de Brazzaville d’une « courte maladie », concept polysémique lorsqu’il concerne des lobbyistes qui flirtent avec le monde imprévisible de la politique et appartiennent au couple dichotomique "presse/pouvoir".
Philosophe de formation, Gislin Simplce Ongouya est arrivé au journalisme grâce à la puissance de sa réflexion qui avait impressionné Jean-Claude Bongolo, directeur de « La Rumeur ». D’abord collaborateur externe, il fit naturellement partie de l’équipe de rédaction du canard satirique brazzavillois dont le mode de traitement de l’information correspondait à son regard critique de philosophe. Il s’occupera de "Société" et de "Politique" en compagnie de Triboulet Ossayo, Toussaint Louvouézo tandis que Clément Massengo Fu-Manchu s’occupera de "Sport" et de "Musique", Noël Kodia Ramata de "littérature".
Doté d’une forte carrure (1m 80), Simplice Ongouya attaquait de front le « système » au point d’inquiéter son entourage : « Il disait haut ce que les autres pensaient bas » avec une audace à faire pâlir le plus farouche des opposants politiques.

Parricide :
En 1998, les évènements militaires déstabilisent la presse en général. Le directeur de la Rumeur part en exil dans la forêt. Déboussolée, l’équipe de rédaction restée à Brazzaville entreprend de mettre sur pied un nouveau titre : L’Observateur. Font partie de la nouvelle équipe : Noël Kodia Ramata, Chris Mbembé. A son retour d’exil, Jean-Claude Mbongolo considère la création de L’Observateur comme un parricide. Ce, d’autant plus que le nouveau titre (L’Observateur) refuse de se fondre dans l’ancien titre (La Rumeur). Voilà donc Gislin Simplice Ongouya patron d’un journal qui a pignon sur rue. Ongouya peut enfin exprimer à loisir sa conception critique du pouvoir, ce qui, somme toute, correspondait aux problématiques de la philosophie, discipline à l’école de laquelle il avait été formé. Déjà, en son temps, le régime de Lissouba en prit pour son grade face aux assauts répétés de cet Oiseau de Minerve, métaphore qui chez Hegel incarne la figure du penseur. Le successeur de Lissouba (Sassou) sera farouchement éreinté par les articles acerbes de l’intraitable disciple de Platon, détenteur d’un Capes obtenu à l’Université de Brazzaville.
Remarqué pour la pertinence de ses analyses, Gislin Simplice Ongouya bénéficiera d’un stage de formation en Allemagne. C’est dire qu’il possédait les ficelles du métier de journaliste avec cet atout d’avoir été formé à la critique de la raison théorique (en épistémologie) durant son cursus universitaire à Bayardelle.

Les risques du métier :
Kongo/lari par sa mère, mbochi/Kouyou par son père, Gislin Simplice Ongouya était comme protégé par cette double appartenance et n’hésitait pas à prendre des risques dans un univers où la critique insolente pardonne très peu à ses auteurs, les exposant à l’arbitraire d’un pouvoir d’autant plus répressif qu’il n’avait pas la légitimité des urnes. De toute façon, Ongouya gênait. Tout de même soucieux d’assurer ses arrières, Ongouya créa un observatoire des droits des journalistes. Sa seule assurance c’est celle reposant sur le paradoxe que plus un journaliste est critique, plus il est connu et reconnu, et plus il devient intouchable.
Il ne reste pas moins qu’il ne put s’empêcher de gouter aux géôles de La Nouvelle Espérance pour crime de lèse majesté.
Ironie du sort, Gislin Simplice Ongouya sera également victime d’une révolution interne à sa rédaction. Chris Mbembé et Gabriel Bouzanda font dissidence et décident de créer Le Nouvel Observateur.
Ongouya faisait partie de cette race de journalistes animés par la fougue de la jeunesse et possédant cet avantage de voir clair dans les mécanismes de la domination et de l’aliénation, ne supportant pas les injustices et obsédés par l’idée de réformer le monde grâce aux idéés. Ca peut paraître naïf comme approche du cours de l’histoire ; mais des grands de ce monde (cas de Nixon) sont tombés à cause de la pression de la presse, institution appelée également « quatrième pouvoir ». C’est pour cette raison que le directeur de L’Observatoire pouvait passer pour suicidaire ou pour opportuniste ou les deux à la fois, tant il fonçait tête baissée dans la bataille, ayant tout de même conscience de sa double parade ethnique protectrice.
Sa disparition attriste le monde de la presse tout en soulageant ceux qui sont à l’origine de l’exploitation de la misère du peuple : les nouveaux maîtres du Congo, hostiles à toute remise en cause du statu quo.
Cette disparition est également significative d’un enseignement : en dictature, l’intellectuel est celui par qui le risque arrive.

Paix à ton âme, cher confrère.

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