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Petit corps malade

Réflexion

Suite à ma rencontre avec le Vieux lutteur panafricain, Abel Goumba que j’ai essayé de relater ici même, j’avais pensé à tous ces problèmes qui freinent le développement de l’Afrique dite francophone en général, et surtout, des restes de l’AEF dont le Congo-Brazaville a été longtemps le pivot.

J’avais promis au frère Congo Molili Esili de revenir sur la CEMAC. De l’eau a coulé sous les ponts et j’ai la tragique conviction que le Cameroun, le Congo-Brazzaville, la Centrafrique, le Gabon, la Guinée Equatoriale, Sao-Tomé-et-Principe, de même que le Tchad, collectivement sont incapables de s’asseoir autour des 1001 tables que nous avons dans toutes nos capitales et de poser les bases claires afin de projeter tous ces Etats dans 10 ans, 20 ans ou 50 ans.
Le 1er janvier 1960, le Cameroun accède à l’indépendance, après avoir été occupé un certain temps par la RFA, puis offerte à la France et au Royaume Uni. Avant les autres. Le 12 juillet 1975, Sao Tomé-et-Principe clôturera les indépendances de cet ensemble, se libérant du joug portugais.

Lors du Traité de Brazzaville, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon et le Tchad mettent sur pied en 1964 l’UDEAC, en s’inspirant de la CEE avec pour objectifs de promouvoir un énorme marché régional avec des idées forces qui ne pouvaient que séduire des investisseurs intéressés par ce marché :

 Un désarmement douanier ;
 Une neutralité fiscale ;
 Une harmonisation des politiques économique et monétaire au sein de l’Union ;
 Une protection tarifaire ;
 Une politique commune à tout cet espace.

L’UDEAC se verra renforcée par la Guinée Equatoriale en 1983.

Il est intéressant de remarquer qu’en 1968, le Tchad et la RCA quitteront l’organisation, pour fonder la très éphémère UEAC (Union des Etats de l’Afrique centrale) car ils en avaient marre de voir les projets industriels accaparés pays côtiers (Cameroun, Congo et Gabon) et véritables poids lourds des instances. Il me faudrait des pages entières pour faire un bilan de l’UDEAC. Mais force est de constater que 32 ans après le Traité de Brazzaville, les raisons qui avaient poussé le Tchad et la RCA à quitter l’organisation sont plus vives que jamais. J’en veux pour preuve l’aberration véritable que constitue la présence simultanée de 2 bourses régionales à Douala et Libreville. Les querelles d’ego démesurés entre Paul Biya et son jeune frère Omar Bongo Ondimba nous ont accouché cet hydre à deux têtes. Combien de sociétés sont côtées à la bourse des valeurs de Libreville au jour d’aujourd’hui ? Combien à Douala ? Les Camerounais qui avaient des arguments solides à faire valoir (population, performances économiques, etc.) ont eu, à mon humble avis, la bonne idée de revendiquer le siège de cette future bourse chez eux. De débats en palabres, de rencontres en concertations, nos élites n’ont pu tomber d’accord sur cette question que l’on pourrait penser vitale (le siège de la structure). Et c’est ainsi que, contre l’avis des autres, le gouvernement de Yaoundé créera en 2001 la SADSE (Société Douala Stock Exchange) avec au départ un capital de 1.200.000.00 FCFA. Libreville qui tenait de son côté (de quel droit ?) à avoir le siège, lancera en 2003 la BVMAC (Bourse des valeurs mobilières d’Afrique Centrale) avec un capital de 1.779.000 FCFA. Un vrai comble !!! La CEMAC (ex-UDEAC), combien de divisions (comme pour paraphraser Staline) ? C’est 33 655 842 d’habitants, avec en tête de liste le Cameroun (environ 16 380 005 habitants) et en queue de peloton, Sao Tomé-et-Principe (173 883 âmes). Fort de tout cela et malgré le fait que depuis des décennies, le Cameroun est le poumon économique, la locomotive de cette zone, les tiraillements incessants polluent, perturbent la bonne marche et des institutions sous-régionales et de l’économie. Il faut du volume pour que tourne une bourse. Il faut des consommateurs. Et le pays qui semble, a priori, remplir ces conditions est le Cameroun. Il est navrant de voir que nos dirigeants sur je ne sais quelles bases s’assoient sur les réalités économiques et préfèrent gérer leurs fiertés. Des réalités économiques qui nous disent que depuis 2005/2006, le Cameroun est le pays de la zone franc qui présente les meilleures données économiques, en partie “grâce” à la partition de la Côte d’Ivoire qui paralyse ce pays.

Visiblement, nos élites jouent de très mauvaises partitions. A la fin des années 90, Idriss Déby devenu entre autres Itno, menaçait de quitter la CEMAC pour rejoindre l’UEMOA et la CEDEAO tant il en avait marre de voir l’Afrique Centrale être autant à la traîne en matière d’intégration sous-régionale. C’est dommage qu’il n’ait pas eu le cran d’aller au bout de sa démarche, car, là aussi, à mon humble avis, il aurait eu tout à y gagner, au lieu d’être au milieu des dinosaures que sont les patrons de Brazzaville, Libreville et Yaoundé : la proximité géographique avec l’Afrique de l’Ouest, les performances économiques de cette sous-région, l’intégration régionale qui bat son plein, qui ne sont plus des choses à expliquer, mais plutôt à améliorer sans cesse. Comme toute œuvre humaine. Nombre d’entre nous ont eu la chance de visiter peu ou prou l’Afrique de l’Ouest. Certes, ce n’est ni le Paradis, ni l’espace économique européen tel que connu aujourd’hui, ou même il y a 20/30 ans, mais il s’y passe des choses qui peuvent paraître, raisonnablement, incroyables pour le citoyen de Londéla Kayes ou Makoua qui ne s’intéresse pas à l’économie des livres ou encore au monde des ingénieurs en travaux publics. On peut prendre son bus pour aller de Ouagadougou à Lomé, à Cotonou, à Abidjan et j’en passe. Bien entendu, avec tous les défauts que je ne citerai pas ici. Mais cela est possible. Chez nous, les dirigeants ont eu la géniale idée de créer des plaques d’immatriculation estampillées “CEMAC”. Chiche ! pourrait-on se réjouir. Bien entendu ce sont nos pauvres parents, amis et autres qui doivent payer de leur poche ce changement pas souhaité du tout par ces temps si durs (mais bon, contre mauvaise fortune...). Mais à quoi sert-il d’avoir une plaque qui me permette d’aller de Birao à Oyem si je n’ai pas de route bitumée, voire même carrossable ? On aime mettre la charrue avant les bœufs. Quand en Afrique de l’Ouest, ça discute passeport de l’UEMOA, chez nous on crève devant l’ambassade du Gabon à Brazzaville ou Douala pour avoir un visa. Car le Gabon, dans l’imaginaire de nombre d’entre nous est toujours l’eldorado du coin, même si tout le monde voit bien que sa production pétrolière ne cesse de décliner.

Faire des textes c’est bien. Les respecter, c’est encore mieux. Mais faire des textes en les adaptant aux données actuelles, en regardant attentivement l’évolution de mon voisin, du monde, de ma famille, c’est faire preuve de réalisme. Faire évoluer ce qui existe en allant dans le sens de l’amélioration, c’est aussi faire preuve de courage surtout quand on sait que cela provoquera inévitablement des frictions, des déceptions. Quelle est cette famille qui ne connaît pas des dissensions ? Dans le cas de la bourse régionale, si les autres Etats n’avaient pas suivi assez maladroitement Libreville, on en serait sûrement ailleurs aujourd’hui au lieu d’avoir un éléphant blanc qui ne sert strictement à rien, si ce n’est à rémunérer de gros pontes, à faire briller encore plus l’étoile du potentat local aux yeux de ceux qui estiment mettre cela dans les bienfaits de cet homme depuis plus de 40 ans qu’il est aux affaires... (Vice-président, président,...). La Guinée Equatoriale (GE) de Théodoro Obiang Nguema Mbasogo, qu’on l’aime ou pas, connaît une croissance économique extraordinaire, à faire pâlir même la France, depuis quelques années. Qui dit croissance, dit argent. Et de l’argent, il y en a à Malabo et à Bata. Et la GE demande légitimement que son poids au sein des institutions régionales soit revu à la hausse. Quoi de plus normal ? Qu’y a-t-il de si extraordinaire ? De même que la répartition des postes, ce pays estime vouloir peser plus que ce qu’il n’a pesé actuellement dans les choix et les orientations macroéconomiques de la sous région. Et bien entendu, encore une fois, c’est juste son écho que le patron équato-guinéen a entendu pendant un certain temps, jusqu’à ce qu’il menace de retirer ses billes ou diminuer sa contribution aux institutions du coin. On l’a pourtant vu avec l’Union Européenne où la France a vu son poids s’éroder, et par conséquent son influence aussi lors de l’arrivée de nouveaux. De 2 commissaires, elle est passée très modestement à 1, se contentant du maroquin des transports, tandis que l’Allemagne gardait l’essentiel de ses avantages à ce niveau, tant son leadership peut difficilement être contesté.

A bien y regarder, la CEMAC ressemble plus à machin pour sauvegarder la zone franc. Il n’est qu’à voir, à lire et à entendre comment nos élites se pressent pour rassurer le “partenaire” gaulois, chaque fois qu’ils peuvent. L’an passé, on a assisté à des scènes d’une honte sans fin à la frontière gabono-camerounaise où des policiers gabonais faisaient des pieds et des mains pour laisser passer des commerçantes camerounaises qui allaient écouler leurs marchandises au Gabon. Why ? Des Gabonaises ont eu l’idée d’aller elles-mêmes au Cameroun acheter des produits que leurs sœurs de l’autre côté de la frontière venaient leur vendre. Quoi de plus normal ? Au Cameroun, “on” en a pris ombrage et les pires tracasseries ont débuté vis-à-vis des Gabonaises. Et en représailles... Voilà comment on leurre les populations avec des structures vides qui tiennent sommets et conclaves à coups de millions, tandis que dans toute la sous-région, nous n’avons pas une université digne de ce nom où l’on puisse former des élites aux besoins réels des 33 millions d’âmes qui peuplent le coin, dont la moitié rien qu’au Cameroun.

En Europe, l’histoire de l’Angleterre est telle que le peuple est farouchement opposé aux 1001 réformes que propose nuit et jour Bruxelles. Le modeste observateur que je suis de cette chose comprend parfaitement les sentiments des Britanniques qui estiment qu’ils ont besoin de garder leur monnaie. Leur système de pesée. Et j’en passe. Mais chez nous, qu’ont nos Etats pour se croire incontournables aux yeux de leurs voisins alors que nous sortons fondamentalement du même moule ? Que nous avons été esclavagisés et colonisés par les mêmes puissances qui nous ont laissé plus ou moins les mêmes héritages : christianisme, langue française, dépeuplements en masse... A l’heure où des pays aussi éloignés que le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud essaient dans la mesure du possible de s’unir pour défendre au mieux leurs intérêts, nous passons notre temps à regarder notre nombril. On cherche nuit et jour le(s) défaut(s) des autres. L’IAI du Gabon qui a reçu bon nombre d’étudiants de la région depuis les années 70 a-t-elle connu une évolution digne des enjeux modernes ? L’ex-Ecole des Cadets de la révolution qui a vu passer des officiers supérieurs de pays voisins a-t-elle opéré les virages nécessaires afin de former des militaires véritablement républicains, à défaut d’être panafricains ? Le Lac Tchad qui nourrit 20.000.000 de personnes sur 4 pays (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) est passé de 26.000 km2 dans les années 60 à moins de 1500 km2 en 2000. Je ne pense pas que les deux pays de la CEDEAO concernés par cette question aient fait ce qu’il fallait pour essayer d’aller contre cette disparition programmée, tout au plus a été crée un machin (encore un !) en 1964, l CBLT (Commission du bassin du Lac Tchad), mais que fait la CEMAC ? La CEMAC est-elle consciente que l’eau constitue un enjeu considérable depuis la nuit des temps ? Je vois ici et là un habitant de Mvouti ou Bata dire « j’ai de l’eau chez moi ! » Certes, mais le jour où le Tchadien n’aura plus d’eau chez lui, où ira-t-il en chercher ?

Mayombe82


Par : Mayombe82
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