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Lettres congolaises

Raymond Loko, statisticien des lettres

Notre rédaction a profité du séjour de l’écrivain Raymond Loko à Paris pour mesurer le tempo de la littérature congolaise in situ, à l’heure de la rupture. L’interview a eu lieu au restaurant « Le Kolam » où s’était réuni le cercle La Ballade des Idées, samedi 23 mars 2019. Des chiffres et des lettres.

Congopage : Qu’est-ce qui justifie ta présence à Paris ?
Raymond Loko  : Le Salon du Livre.
C.P  : Ca s’est bien passé ?
R. L : Oui. J’étais au stand « Po na Ekolo » alors qu’à l’origine j’étais sollicité par Pavillon Lettres Afrique de Mme Diop. Pour des raisons d’intendance, Présence Africaine a été privée de salon cette année. J’ai alors changé de fusil d’épaule. Je me suis retrouvé chez « Po na Ekolo  » régulé par l’ancien secrétaire d’Etat Elvis Digne Okombi Tsalissa.

C.P : Tu as au total une douzaine d’ouvrages. Quand t’es-tu jeté à l’eau pour la première fois ?
R. L : J’ai publié en 1997. Mais j’ai commencé l’écriture plus tôt que ça.
C.P : En 1997, c’est le début de la guerre civile. Hasard ou nécessité ?
R. L  : j’ai commencé à écrire peu avant la deuxième guerre.
C. P : As-tu parlé de la guerre avant la guerre dans tes ouvrages comme par prémonition ?
R. L : Le premier livre, L’héritage de Méya parle de la guerre de 1993, un facteur déterminant dans la problématique littéraire de nombre d’écrivains congolais. Mais je ne me focalise pas sur la barbarie politico-militaire.
L’inspiration m’est venue le jour où je me retrouve aux pompes funèbres pour les obsèques d’un neveu décédé dans les affrontements entre les quartiers de Brazzaville. Dans cette morgue il y avait des corps mutilés. On aurait dit « Guernica » le tableau de Picasso tant ça frisait le chaos. Je me suis demandé pourquoi tant de mal. La réponse sautait aux yeux : c’est la politique. Au lieu de nous unir, la politique nous divise. Que faire ? Ma réaction fut de me battre avec l’écriture pour conjurer le sort. Si je prenais des armes réelles, j’aurai tué et on m’aurait tué. Qui tue par l’épée...J’ai pris ma plume…
C.P : qui est aussi une arme...
R. L  : Oui, en effet. Je ne suis pas Chinua Achebe, écrivain qui prit les armes durant la guerre du Biafra. J’ai écrit mon premier roman sous l’empire de la violence. Un jeune homme dont le père appartient à l’ethnie minoritaire du quartier dans lequel il vit et la mère membre de l’ethnie majoritaire devient brutalement orphelin. Des miliciens débarquent dans l’habitation familiale, demandent au père de creuser un trou. Ils l’abattent. Cette parcelle devient la tombe du papa. La famille sera ensuite confrontée au problème d’héritage. En fait un drame dans le drame.

C.P  : Tu as plutôt une formation de mathématicien. Comment es-tu passé des chiffres aux Lettres ?
R. L : Oui. Je suis doctorant en statistiques. J’ai été aspiré par la littérature, comme Balzac, juriste, l’a été aussi.
C. P : On dit les mathématiciens bons écrivains. Comment peux-tu expliquer ce paradoxe, cette interaction ?
R. L : Il ne s’agit pas d’un paradoxe. Plutôt d’un esprit scientifique (Gaston Bachelard). Les mathématiciens sont habitués à une logique, à une rigueur. Quand ils écrivent, ils sont plus rigoureux, plus percutants. Ca donne de bons écrivains car la construction littéraire possède aussi ses théorèmes. Je pense même que les étudiants en lettres ne deviennent pas forcément de bons romanciers.

Liberté-chérie

C.P : Est-ce que tu te sens libre à Brazzaville quand tu écris ?
R. L  : Oui. Je me sens libre. Déjà même dans la déontologie de l’écrivain, il suffit d’être prudent quand on aborde certains sujets. Ne pas indexer les choses qui peuvent poser des problèmes et, par conséquent, entraver ta quiétude. Ca va de soi. Il faut faire attention.
C. P : Tu ne penses pas qu’un écrivain, c’est quelqu’un qui doit prendre des risques ?
R. L : Oui, les risques, il faut les prendre. Déjà quand j’écris mon premier livre, c’est un risque que je prends. Mais L’héritage de Méya est un roman. Ce n’est pas un essai où l’on parle de vérité crue. Dans un roman, je fais de la fiction. Personne ne pourra me demander des comptes. On me dira, tiens là ça fait penser à untel. Mais faute de preuve, on ne sévira pas. On savait que Balzac pensait à Victor Hugo dans le personnage de Hector Hulot (La cousine Bette) . Mais Hulot n’était pas Hugo.

Cercle des poètes disparus

C.P  : Existe-t-il à Brazzaville une association d’écrivains ? Une sorte de cercle de poètes disparus. Comment êtes-vous organisés ?
R. L : Il y a l’Uneac (Union des écrivains et artistes congolais) qui existe depuis un certain temps. Mais elle doit changer de peau car elle a été créée pendant le mono. Avec l’arrivée du pluralisme, l’Uneac doit faire peau neuve. Qu’elle revoit ses statuts. Avant elle bénéficiait des subventions de l’Etat en tant qu’organisation de masse. Désormais, c’est fini. L’Unéac est affaiblie.
C.P : En dehors de l’UNEAC, existe-il d’autres Institutions ?
R. L : Oui. Par exemple Le Forum des gens des Lettres.
C.P  : Vous vous connaissez tous à Brazzaville en tant qu’écrivains ?
R. L : Oui. On se connaît dans les fréquentations des cercles.
C.P  : Combien existe-t-il d’écrivains au total ?
R. L : Le Congo est un grand pays de culture. Je ne peux pas connaître tous les écrivains. Il y a les écrivains en herbe. On est nombreux.
C.P. : Des problèmes de publication ?
R. L  : Bien sûr. La publication est un problème qui se pose avec acuité. Il n’existe pas de maisons d’édition. Quand on a un éditeur, ce n’est pas évident qu’on vous donne des droits d’auteur. Une dédicace coûte les yeux de la tête.

Lecteurs, électeurs

C.P : Est-ce que les Congolais lisent beaucoup ?
R.L : Statistiquement parlant les Congolais ne lisent pas beaucoup. Mais il faut se demander pourquoi les Congolais ne sont pas des lecteurs. L’une des causes est l’absence de bibliothèques. Il n’existe aucun évènement culturel qui fasse que les Congolais rencontrent les livres.
C.P : Quel auteur t’inspire ?
R.L : Henri Lopes, Alain Mabanckou. Je me trouve en harmonie avec leur écriture. C’est surtout les auteurs du 17ème siècle. Guy de Maupassant, Baudelaire. Spinoza.

Bibliographie non exhaustive
Raymond Loko est auteur de 12 ouvrages dont 9 romans, 2 recueils de poèmes, 1 pièce de théâtre :
 L’héritage de Méya
 Les messagers de la paix
 Les sinistrés de l’au-delàs
 Le Pont de l’indépendance (recueil de poèmes)
 Le Testament (Recueil de poèmes)
 La République en jaune
 Les mains vides
 La canne sacrée du maître (T1 & T2)
 Le crucifié de Mbanza-Kongo (Pièce de théâtre)

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