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Sassou-Ntoumi : retour sur une poignée de main abracadabrantesque

Après notre papier sur Papa Wemba-Mpongo Love, nous poursuivons notre série sur les moments émouvants avec la poignée de main entre Denis Sassou Nguesso et Frédéric Bintsamou dit pasteur Ntoumi. Deux chefs d’entreprise funeste, en l’occurrence deux patrons de milice privée. Se livraient-ils vraiment une guerre implacable ou livraient-ils leurs compatriotes en pâture aux démons de la guerre ?

Un parfum hellène

Il flottait un parfum de Grèce antique sur le palais présidentiel, en ce début de janvier 2010, à l’occasion des vœux des Corps constitués au Chef de l’Etat, où, comme dans la civilisation hellénique, pour finaliser une transaction ou valider un serment, on recollait les fragments de poterie ou de pièces de monnaie. Le Symbolon, s’exclamaient-ils. Justement, «  La symbolique répond aux défaillances de la représentation, écrit Lucien Sfez dans La politique symbolique. (…) Qu’elles soient attirantes ou repoussantes. Elles ont toutes un même effet : recoller les morceaux pour en faire une totalité. » Diabolo (séparer) est le contraire de symbolon (assembler) . C’est en effet une « image symbolique » qu’offrirent Denis Sassou Nguesso et le Pasteur à la postérité. Une poignée de main merveilleusement mise en scène par les deux comédiens saccageurs. « C’est fini, maintenant nous allons travailler ensemble », lança le chef de l’Etat à son ennemi de pacotille. Ils promettaient « assembler » après avoir longtemps été diabolo (séparés ) à cause des guerres civiles.

Postérité

Un homme politique du rang de Denis Sassou Nguesso doit avoir laissé à la postérité des moments émouvants. Ndalla Graille, par exemple, laissera des moments de télé grandioses à la postérité. Chacun se souvient de son face-à-face époustouflant avec Charles Madzou (nous y reviendrons). Rien à avoir avec la poignée de main entre Sassou Papa Bonheur et Méphisto-Ntoumi le diabolo de Louko. Pire : Denis Sassou Nguesso, en presque cinquante ans de vie politique, s’est borné à des gestes symboliques comme couper des rubans, inaugurer des chrysanthèmes. Jamais celui qui se nomme L’homme des masses n’a débattu ni à la télé ni à la radio. Du moins personne ne s’en souvient. Au contraire d’un François Hollande qui croisa le fer avec Sarkozi marquant à jamais la mémoire collective avec sa fameuse tirade : « Moi, président de la République... »

Mascarade

La poignée de main entre les deux chefs de guerre n’était qu’une mascarade exquise. Non, Ntoumi n’a jamais été un rebelle ; un tigre de papier : oui. Jamais, au grand jamais, il n’aurait fait trembler Denis Sassou Nguesso, appelé encore oloma niama ("féroce comme une bête", en mbochi). Les raisons de la naissance politique de Ntoumi sont ailleurs. Denis Sassou Nguesso a fréquenté presque toutes les fortes têtes du Congo, le cofondateur du PCT Diawara, Kikadidi, Katali et Anga, pour ne citer qu’eux. Tous ont disparu dans les conditions que l’on sait troubles. Sassou, lui, est resté. C’est dire qu’il ne craint personne au Congo. Et pour cause : il est l’envoyé des dieux... Peut-être s’imagine-t-il ainsi. Et Ntoumi ?

Un psychiatre doublé d’un religieux

Si Denis Sassou Nguesso est l’envoyé des dieux obscurs, Ntoumi, lui, aurait pu trouver un rôle dans le film Une Bible et un fusil, aux côtés de John Wayne et Katharine Hepburn. Hélas ! Le scénario d’un Pasteur qui cache son revolver dans une fausse Bible (un classique des western) aurait convenu à Ntoumi. Ntoumi adore en effet la Bible et le fusil. Il ne pense qu’à ça. On dirait un templier, mais il n’en a pas la moindre idée.

En 2007, L’homme aux versets sataniques (entendez Ntoumi) est nommé Délégué général auprès du Chef de l’Etat, chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre. Mais il ne prend officiellement ses fonctions que le 28 décembre à Brazzaville. Une décennie plus tôt, personne ne le connaissait. Il soignait, aux dires de son entourage, des fous. Un psychiatre qui aurait plutôt eu besoin d’être soigné lui-même. Puis vint la lumière lugubre. Avec comme seule ambition de mettre le Pool à genoux. Bien sûr, avec la bénédiction de son ami/ennemi Denis Sassou Nguesso. Sinon comment expliquer qu’il se soit retrouvé subitement avec une mallette satellitaire à sa naissance politique ? Il faut avouer que c’est une fabrication de Pierre Oba. Il s’agissait pour Pierre Oba de propulser Ntoumi afin d’éclipser Kolelas, un symbole alors fondamentalement incrusté dans l’inconscient du Pool. Pierre Oba n’avait rien compris aux phénomènes de l’imaginaire religieux dans une région où les Prophètes (ntoumi en kongo) se fabriquent à la pelle.

Sassou et Ntoumi ont donc amusé la galerie lors de leur poignée de main rigide en se lançant des signes d’intelligence. Ils se connaissaient et faisaient mine de se parler par tierces personnes. Leur geste amicale constitue l’une des plus grandes impostures de ces dernières années, un haut momment de comédie. Le Congo est vraiment à pleurer.

Bedel Baouna

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