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Sassou partout partout ou le calembour significatif des quartiers nord de Brazzaville

Sassou partout/partout. La dérision par la chanson est partout, en dictature, l’expression de la colère qui, à défaut de mettre à terre le pouvoir qui le brime, se borne de trainer ses représentants dans la boue. C’est ce qui est arrivé à Talangai au cours d’un concert quand le bal a tourné au carnaval.

Une vidéo virale sur la toile, mettant en scène le détournement sémantique d’une chanson à succès de Patrouille des Stars a procuré un immense plaisir à tous les anti-Sassou de la planète. L’humiliante vidéo est d’autant plus surprenante, pour le pouvoir de Sassou, que le bal s’est déroulé en terrain conquis : les quartiers nord. Cela signifie que transgresser la sacro-sainte loi de l’atteinte à la sûreté de l’Etat n’est plus redouté par la population bien que, à l’heure qu’il est, au Congo nous vivons une atmosphère politique extrêmement nerveuse où le moindre couac conduit soit en taule soit à la tombe.

Histoire d’une dérision nominale

Le retournement stigmatique d’un air populaire aux dépens du Président Sassou n’est pas un phénomène nouveau. Souvenons-nous du tube de Coupé-Cloué des années 80 « Femme Kolokint » dont le contenu fut détourné en bonne et due forme, ridiculisant les organes génitaux de Sassou. La mélodie créole haïtienne, fort banale, devint : « Mbanga za Sassou. ». Ensuite il eut toujours à la même époque un célèbre solo de Pépé Felly (Zaïko) qui fut récupéré. (Sassou bu ka télé ku Mavula mbongo kani).

Il reste que chiffonner le patronyme du tyran d’Oyo pendant un concert live est de l’ordre de l’inédit. Kevin Bouandé a mordu très fort le jarret d’Otchombé.

A boma awa aboma kouna

La rupture a alors eu lieu, à Talas, à la grande joie d’une foule qui ressentait le désir de libérer la parole, de se défouler. Comme une pulsion longtemps contenue, elle a naturellement explosé. L’inconscient collectif ne connaît pas d’auto-censure.

Sassou, le chouchou des quartiers Nord, a vu son nom substitué à la place d’un célèbre coureur de jupons répondant au sobriquet de « Tonton partout/partout. ». L’extrait du concert subversif partagé dans les réseaux sociaux donne d’autant plus d’épaisseur à la stigmatisation de la violence politique que le concert de Patrouille des Stars semblait légal (bénéficiant de toutes les autorisations) et offert au public par les autorités elles-mêmes afin de magnifier la fête nationale du 15 août.

Puis, patatras, l’irrespect du nom de Sassou prit le relai dans la fièvre du samedi soir, comme un songe d’une nuit d’été. Le classique tonton partout/partout se métamorphosa en « Sassou partout/partout ». L’axiome de la critique du public est le suivant : cet homme est tout et partout, par tous les temps, de tous les temps, de tout temps. Ca suffit ! ll faut que ça change.

Mais la substitution onomastique est un classique de la dérision politique. On l’a vu avec « Mbanga za Sassou » après le coup d’état de 1979. On l’a vu avec François Hollande et le fromage hollandais. Les pouvoirs souffrent de tous les calembours et, l’opinion publique ne s’en prive pas, surtout si le représentant du pouvoir est un bouffon, un cruel bouffon. Comme Sassou.

Cristel Kiki Nguesso, le fils, vécut aussi les affres du détournement sémantique avec Youss Band, lorsqu’à Paris, au Palais des Congrès, l’artiste qui n’était pas l’invité-surprise réserva une surprise de taille aux organisateurs. Souvenons-nous de son « C’est ça qu’on appelle la dictature » qui résonna dans la salle du Palais comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Kiki fut humilié. Youss Band mit le public de son côté alors que la plupart des invités dans la salle furent triés sur le volet c’est-à-dire pro-PCT ; comme à Talangaï, quand, face à ses propres électeurs, le nom de Sassou fut proprement sali.

Le syndrome Youss-Band

A Talangaï, dans les quartiers nord, nous sommes dans le contexte du carnage de Chacona. Kévin Bouandé, enfant des quartiers nord ayant fréquenté le Lycée Thomas Sankara, vit au cœur de la zone où ont été raflés les 17 faux Bébés Noirs massacrés au commissariat de Chacona. Le public de Talas, atteint du « syndrome de Youss-Band » (du nom du chanteur qui administra une douche froide à Kiki) renversa l’image de son idole Sassou, déboulonna la statue du bâtisseur infatigable.

Kévin Bouandé, la chose est évidente, comptait au moins un ami parmi les massacrés de Chacona. Le sang du public ne fit qu’un tour quand la star entama l’intro de son tube « Tonton Partout/Partout. ». Les suppliciés de Chacona n’étaient pas encore conduits dans leur dernière demeure. Le crime était encore frais. Tout Talas était en colère. Sans concertation, le public remplaça le substantif de Papa Bonheur par celui de Tonton tueur. Ce soir-là les oreilles de chouchou Sassou durent beaucoup siffler car jamais le roi d’Oyo n’a jamais été jeté dans l’arène sans une feuille de vigne pour cacher ses mbanga. et autres bangala.

Sassou a les mains les plus sales d’Afrique. A son palmarès : les enfants de Moukondo, les massacres de Bacongo/Makélékélé, la boucherie du Pool, la charcuterie du Beach. Puis, last but not the least, Kibéliba/Chacona. Partout, au Nord, au Sud, dans tous les azimuts, l’homme expédie la population dans la mort. « A boma awa, aboma kouna  »résume à merveille les quarante ans de violence politique de Sassou.

Toute population bernée se retourne contre ceux qui lui font des promesses et ne les tiennent pas.
Le chanteur qui va t’aduler est le même qui va se farcir ton pouvoir. Aujourd’hui c’est Kévin Bouandé des Patrouilles des Stars. On attend le tour du cireur de pompes professionnel, Roga-Roga, de jouer un tour à son Tonton Sassou, de lui en mettre partout sur la gueule, plein la gueule. Partout/ partout /partout…

Isidore Akouéli

gnde

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