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Tous pourris

L’Editorial de Benda Bika

Le débat que nous avons ouvert au forum est finalement plus important qu’il n’y paraît de prime abord. Au fil des audiences du tribunal de Paris sur l’affaire Elf, nous découvrons des choses que nous ne faisions qu’imaginer jusque-là. Elf, c’est beaucoup d’argent sur notre pétrole ; c’est beaucoup de compromissions, de corruption et de gabegie. C’est beaucoup de gâchis en termes de vies humaines aussi : l’argent était facilement débloqué pour l’achat des armes ; difficilement quand il fallait payer des fonctionnaires, pères et mères de famille.

Mais, surtout, nous découvrons que tous nos dirigeants, passés ou présents, tous absolument, ont été appelés à la soupe. Et se servant non pas de ridicule cuillère mais de bonnes louches, ils ont tout simplement bouffé ; ce que nous appelons « boukouté », le gâteau de notre richesse. Quitte à enterrer sans sourciller 10.000 Congolais dans la guerre de 1992-1993 ; quelque 10.000 autres dans celle de 1997 ; 5.000 (il paraît) dans celle de 1998 et, à partir de là, les réglettes ne fonctionnent plus. Du reste, il est des chiffres au-delà desquels, rien ne veut plus rien dire : 1 Congolais de tué pour du pétrole, c’est déjà trop ; alors 10.000… !

Ces faits sont connus. Ils sont rappelés chaque semaine à Paris. A Libreville, Luanda, Yaoundé et Brazzaville, les porte-paroles démentent, vitupèrent, tonnent et menacent. Mais la justice, française, poursuit le grand déballage. Et nous recevons littéralement en pleine gueule les saletés côté cour de l’histoire de nos Nations qu’on a honte de dire souveraines. Et nous accueillons, assommés, les révélations sur tel général chargé de renverser un gouvernement ; sur tel prélat arrosé on ne peut mieux ; sur tel « opposant » et tel « mouvancier » mis à égalité par l’insatiable besoin de garnir des poches sans fond.

Alors, donc, tous pourris ?

Oui absolument. Y compris sur cet espace nous nous sommes souvent querellés pour vanter les mérites de nos champions. Nous avions avancé l’idée que le général Mokoko représentait la voie du futur. Que le Premier ministre Milongo était un bon gestionnaire. Que Kolélas était la ténacité même pour la résistance au marxisme. Que Lissouba a campé les pots de terre pour affirmer un tant soit peu notre prétention d’humains auprès des colosses pétroliers. Que Sassou a eu le mérite de mettre un terme à la sanglante et inutile guerre de 1997. Le procès de Elf nous apprend qu’il nous faut réviser nos manuels. Et ajouter à ces qualificatifs d’autres considérations utiles.

Car si les qualités des uns et des autres peuvent demeurer, aussi bien les uns que les autres ont absolument mangé dans la main chez Elf. Alors, je vous demande : pourquoi - pour qui - nous sommes-nous faits les guerres ? Quel idéal avons-nous fait avancer ? Quelle voix a représenté la vertu et l’espoir national, quelle voie a été celle des prédateurs insouciants ? Qui a servi le Congo, et qui l’a trahi ?

La réponse appartient à chacun de nous. Mais la réalité nous concerne tous. Le Congo, troisième producteur de pétrole en Afrique sub-saharienne, n’a fait avancer aucun de ses indicateurs économiques de référence depuis 1966 ! Nous sommes producteurs de pétrole, mais nous faisons des pieds et des mains pour être éligibles au Programme PPTE (Pays pauvre très endetté), pour bénéficier de l’annulation de notre dette par la Banque Mondiale. C’est à dire que nous cherchons à convaincre la communauté internationale de notre pauvreté, malgré notre richesse !

Il y a de quoi avoir le vertige quand de telles choses sont révélées, ailleurs ; de quoi avoir durablement honte et se demander quelles sont les voies du futur. Comment nous en sortirons-nous s’il n’y a personne pour nous dire le droit, la loi, la règle et la mesure ? Désespérant aussi de constater sur cet espace que, cela malgré, nous continuons à nous décliner en pro-X et anti-Y quand tout nous pousse au dégoût, pour scruter les voies du rebourgeonnement.

BB

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