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L’Editorial de Benda Bika

Un meeting de l’opposition a été interdit au pays il y a quelques jours. François Ibovi a expliqué que les organisateurs n’avaient pas indiqué les orateurs prévus. Tel quel ! Le ministre n’a pas exigé que leur poids et tailles soient également spécifiés, mais c’est à peine. Nous sommes au Congo, pays qui depuis 1992 est entré dans l’ère de la démocratie pluraliste. Et où, il y a quelques semaines encore, le Chef de l’Etat se plaisait à dire qu’il ne comptait aucun prisonnier d’opinion dans ses geôles.

Cette affaire est indicatrice d’un climat qui peut inquiéter. Qu’un gouvernement interdise une manifestation pour risque de désordres (il le dit !), pour autorisations non sollicitées (quand c’est la règle), pour des raisons pressantes de sécurité (par exemple concomitance avec une autre manifestation concurrente), ça s’est déjà vu. Mais que cela le soit parce que les orateurs ne sont pas connus, est une marque inquiétante d’inquisition.

Car cette interdiction révèle que la peur est revenue au Congo. Suffisamment pour s’inquiéter de ce que disent les gens (en mal) et de le leur demander d’avance. De là à penser qu’on veuille indiquer ce qu’il faudra dire - et comment - et ce qu’il ne faudra pas, et c’est le retour de la Commission de censure du Parti pourtant dissoute en 1990 !

Elle révèle en même temps que si l’opposition, sachant quelles sont les règles qui prévalent à la tenue d’un meeting, avait effectivement décidé de passer outre, elle reste une opposition d’amateurs. Elle est (l’opposition intérieure) partie prenante des lois qui régissent actuellement la République ; elle les a votées et influencées d’une manière ou d’une autre. Elle les connaît. Faire comme si elle avait voulu tomber dans un piège aussi puéril est, de sa part aussi, une marque de relative immaturité.

Dans tous les cas, et quelles qu’aient été les vraies raisons qui ont présidé au refus de ce meeting, le gouvernement de Sassou Nguesso III a raté là une occasion en or d’écouter une partie de son peuple. La vie congolaise est telle, et les compromissions dûes à la misère si visibles à tous les niveaux qu’il n’est pas impossible que le meeting tant craint n’aurait pas pu être autre chose que le rabâchage des mêmes poncifs. Pourtant, même laisser dire cela, fait partie du jeu démocratique ouvert.

Ne pas l’accepter c’est orienter une vie publique, revenir au temps où, comme dit mon cousin, les réunions de plus d’une personne étaient interdites. Le Congo avance vers l’inconnue d’une démocratie traumatisée par les guerres. Les dirigeants d’hier sont les opposants d’aujourd’hui, mais pas par un jeu d’alternance. Le pays a donc le devoir de rechercher les conditions de faire jonction en lui-même : nous avons aggravé la situation de ce pays, cherchons ensemble les moyens de repartir en évitant les écueils d’hier.

Ce serait la seule voie de sagesse.

La seule qui fasse que ceux qui aujourd’hui se répandent en imprécations sur les médias internationaux, soudainement mûris par l’exil et l’éloignement, ne soient pas automatiquement les seules solutions de rechange pour demain. Ceux-là comme ceux-ci, nous les avons tous vus à l’œuvre. C’est de chercher à tourner la page que nous avons besoin ; d’entendre d’autres manières de faire et de dire.

Mais si un rassemblement peut être interdit au motif que les orateurs ne sont pas connus, c’est qu’on ne veut même pas entendre ce qu’il y a de nouveau dans un pays qui se cherche. C’est comme si on voulait toujours entendre la même chose et se rassurer de ses propres fantasmes.

Benda Bika

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