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France-Congo

De Brazza revient bientôt

Cinq ans auparavant, personne ne l’aurait ni imaginé, ni cru ! Et pourtant, ce sera bientôt une réalité : l’explorateur européen Pierre Savorgnan De Brazza est de retour en Afrique équatoriale. Il revient 100 ans après son décès intervenu à Dakar (Sénégal) le 14 septembre 1905 à l’âge de 53 ans. Naturalisé français, cet italien de naissance fonda Brazzaville le 3 octobre 1880 (1).

De Brazza revient bientôt en Afrique équatoriale ; précisément à Brazzaville, la cité qu’il avait fondée pacifiquement après avoir obtenu une autorisation écrite du souverain indigène. Cette autorisation a un nom : le traité de Mbé. Mbé, c’est la capitale du royaume téké. C’est là que le souverain Téké de l’époque (le roi Makoko) conclut avec De Brazza un traité. Ce traité faisait à la fois office de permis d’occuper et de construire. Il donna donc le droit à De Brazza d’édifier Brazzaville.

De Brazza revient bientôt. Mais il ne reviendra pas en chair et en os comme il y a 125 ans environ lorsqu’il bâtit la première maison de Brazzaville. Ce sont ses ossements poussiéreux qui vont être déterrés à Alger, placés ensuite dans des sarcophages du 21ème siècle pour être acheminés au village de Mfoa métamorphosé. Le village de Mfoa métamorphosé n’est autre que Brazzaville ; la seule capitale africaine qui fait et fera encore référence au colonisateur dans son appellation.

De Brazza revient bientôt dans le bassin du Congo. Ce sera son septième et ultime voyage au Congo. Au cours de cette expédition, De Brazza ne se fera pas accompagné par son équipage habituel. Aucun intrus ne sera admis dans son glorieux cortège. Même Malamine Camara, son homme à tout faire, ne sera pas du voyage. Cette fois-ci, De Brazza ne se fera accompagné rien que par les membres de sa famille (au sens européen du terme) : son épouse Thérèse de Chambrun et leur progéniture. Cette fois-ci, De Brazza ne s’encombrera d’aucun bagage : pas besoin de vivres, de médicaments, d’arme à feu ou de casque colonial.

De Brazza revient bientôt au Congo. Cette fois-ci, il ne sera plus en mission commandée. Pour lui, tout avait été accompli une fois pour toutes...pour les siècles des siècle. Au cours de ce long voyage, il ne viendra plus en bateau comme à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle lorsque la navigation aérienne était soit en gestation, soit au stade expérimental. C’est donc par la voie des airs que De Brazza reviendra au Congo civilisé du 21ème. Ainsi Stanley et les sauvages Bafourous de l’Alima ne lui feront pas obstacle. D’ailleurs, ces trouble-fêtes n’y verront que du feu.

De Brazza revient bientôt en Afrique équatoriale. Contrairement au Seigneur Jésus, il ne reviendra pas comme un voleur. Personne ne sera pris au dépourvu. Car son retour, initialement prévu pour septembre, puis octobre, a été finalement reporté pour décembre 2005. L’itinéraire de ce retour a été longtemps divulgué. En janvier dernier, Jeune Afrique l’Intelligent avait dévoilé l’itinéraire que devrait emprunter l’immortel De Brazza et sa famille. Après l’exhumation au cimetière d’Alger (Algérie), « ..."les dépouilles" vont être embarquées dans des cercueils à bord d’un avion à destination de Libreville au Gabon ; puis chargées dans un hélicoptère qui devrait suivre les cours de l’Ogooué et de l’Alima jusqu’à Brazzaville. »

De Brazza revient très bientôt. Car l’imminence de son retour a été récemment confirmée par le président Denis Sassou Nguesso lui-même, dans un discours officiel devant les chambres du parlement réuni en congrès. Dans la "préroraison" de cette allocution, le chef de l’Etat déclara solennellement : « ...Le 45ème anniversaire de l’indépendance coïncide avec le centenaire de la mort de Pierre Savorgnan De Brazza dont la dernière volonté était de reposer définitivement et éternellement au Congo. La famille de De Brazza a tenu à honorer cette dernière volonté. Le gouvernement congolais a approuvé cette décision avec honneur et fierté. Le transfert des restes mortels de cet illustre personnage d’Alger à Brazzaville, sera, pour le Congo, l’occasion d’une rencontre pathétique entre le devoir de mémoire et l’hommage d’un peuple, d’une nation à un homme exceptionnel, un grand humaniste dont le rôle et le caractère marqueront, à jamais notre histoire... » (2). Dès lors, la messe avait été dite...

Né 28 ans après le décès de De Brazza, le président Denis Sassou Nguesso n’a jamais fait mystère de son admiration pour le personnage historique de Pierre Savorgnan De Brazza. Déjà en 1997, il écrivait : « ...Je suis resté fidèle, de ce point de vue, à l’esprit de mes prédécesseurs qui, soucieux de leur identité africaine, n’avaient jamais jugé nécessaire de débaptiser le nom de Brazzaville pour l’africaniser, comme d’autres pays d’Afrique l’avaient fait. Nous savions assez ce que nous devions à Pierre Savorgnan De Brazza et à la France pour le conserver la place qu’ils méritent dans notre pays... » (3).

De Brazza revient bientôt auprès des "siens" qui auront du mal à le reconnaître et à l’adopter. Car son retour annoncé a divisé les congolais (du cru et de la diaspora) en deux camps hostiles. Ces deux camps rivalisent d’arguments pour faire prévaloir leur point de vue à travers les divers médias (non étatiques).

De Brazza revient bientôt à Brazzaville. Ceux qui sont opposés à l’arrivée de ses ossements estiment que, honorer en aussi grande pompe son explorateur colonial est un véritable non-sens. Une infamie pour un peuple de couleur autrefois assujetti, asservi et traumatisé sur la terre de leurs ancêtres. C’est comme si les amérindiens allaient, un jour, célébrer dans l’allégresse l’anniversaire de l’arrivée de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde. Cela est d’autant plus ambigu que, durant de longues décennies en ex République populaire du Congo, le Parti Congolais du Travail en abrégé P.C.T. (premier parti-Etat africain se réclamant du marxisme-léninisme dans lequel Denis Sassou Nguesso jouait un rôle prépondérant) avait inlassablement fustigé l’impérialisme, le colonialisme et le néo colonialisme dans les opérations de propagande et lors des grands meetings. Il paraît tout à fait inconséquent pour des dirigeants naguère anticolonialistes de rendre un hommage aussi grandiose à l’homme par qui la criminelle colonisation française était arrivée. En se fondant sur cet illogisme patent ou à cette frivolité idéologique, d’aucuns n’hésitent pas à penser que le vrai mobile de cette entreprise incongrue (transfert des restes de De Brazza) est à chercher dans les pratiques fétichistes du chef de l’Etat. A celui-ci justement, on reproche le fait de ne pas avoir privilégié d’abord la glorification d’anciens hommes d’Etat congolais comme Alphonse Massamba Débat (ancien chef d’Etat assassiné en 1977 et demeuré sans sépulture). Cela est d’autant plus choquant que ce transfert des restes de De Brazza va s’accompagner de la construction d’un somptueux mémorial aux frais de l’Etat congolais pour l’essentiel !

Ceux qui sont opposés "au retour de De Brazza" déplorent aussi le fait que le gouvernement n’a pas eu l’idée de consulter le peuple congolais avant d’entreprendre cette opération de grande envergure. Pour ces intellectuels, cette décision unilatérale "d’importer" les restes mortels de De Brazza prouve le déficit démocratique et le mépris des contribuables congolais par leurs gouvernants.
De Brazza quittera bientôt Alger pour venir s’installer définitivement à Brazzaville. Les intellectuels congolais favorables au transfert des cendres de De Brazza d’une capitale africaine vers une autre, réfutent la thèse de l’absurdité idéologique et du gâchis financier. Ils présentent l’explorateur De Brazza comme un messie que la France providentielle avait gracieusement envoyé au cœur de l’Afrique en vue de sauver les indigènes bantous des affres tribales précoloniales, de l’illettrisme, des superstitions, de l’insalubrité, des épidémies et endémies, etc. Vu sous cet angle, De Brazza apparaît comme un bienfaiteur, un charitable civilisateur. De ce fait, tous les congolais et gabonais sans exception doivent à De Brazza un cierge...gros et long comme un bambou adulte.

Ainsi, tous les goûts et toutes les opinions étant dans la nature, on ne pourrait reprocher à quelqu’un de penser ceci ou cela. Ce qui est blâmable, chez les intellectuels du second groupe, c’est la volonté de réécrire subrepticement l’Histoire du Congo. Ce révisionnisme rampant des faits historiques se manifeste sur l’interprétation du nom propre "Bafourous". Sans avoir vérifié au préalable l’exactitude de l’information, ces intellectuels assimilent vite les énigmatiques "Bafourous" aux Mbochis (l’ethnie du chef de l’Etat).

De Brazza raconte dans ses récits écrits qu’il aurait été refoulé sur les rives de l’Alima (un affluent du Congo qui passe par Oyo, le village natal du chef de l’Etat) par les Bafourous lors de sa première expédition. Or l’examen de la carte ethnique du Congo met en évidence l’absence des Bafourous. Qui seraient-ils alors les Bafourous ? Sans nul doute, un peuple riverain de l’Alima. Mais lequel ? Les Mbochis ? Les Tékés ? Ou un autre peuple ? Nul ne saurait répondre avec certitude Même Théophile Obenga, le pharaon des historiens congolais, quoique d’ethnie Mbochi n’a jamais osé affirmer (sauf erreur de notre part) que les Bafourous étaient Mbochis. Attribuer hâtivement et gratuitement l’exploit de résistance à l’occupant colonial des "Bafourous" aux Mbochis apparaît comme une falsification consciente de l’Histoire à des fins inavouées. Or cela n’est pas sérieux. L’histoire ne rime pas avec la fabulation. Quiconque veut faire œuvre d’histoire doit se débarrasser de toutes sortes de complexes pour se soumettre à la dictature des faits vérifiables et non pas supposés. C’est en de pareilles circonstances qu’il convient de rappeler cette pertinente pensée de Paul Valéry : "L’Histoire est la science la plus dangereuse que la chimie de l’intellect ait imaginé."

Ceci dit, selon des investigations historiques menées par Georges Maboma, ce que De Brazza désignait par ignorance les "Bafourous" n’étaient pas des Mbochis ; mais plutôt des Bobangui et des Likouba confondus (4). Ainsi, le mystère des célèbres Bafourous est percé...jusqu’à la prochaine remise en cause d’un autre chercheur en Histoire.

De Brazza revient bientôt à Brazzaville. Ne le jugez pas. Il ne reviendra pas pour confesser ses péchés, ni pour s’ériger en juge des vivants et des morts. N’ayez donc crainte. Il vient se reposer en attendant le jugement dernier.

De Brazza revient bientôt dans son second pays d’adoption...pour l’éternité. Il avait souhaité que cela se passe ainsi. Ainsi l’ont accepté et décidé les autorités congolaises. Or toute autorité vient de Dieu. Qu’on soit pour ou contre son "retour à Brazzaville", on doit s’apprêter à l’accueillir. Le vin est tiré, même s’il est amer, il faut le boire.

Après avoir effectué six voyages (et non pas trois comme l’a écrit Bélinda Ayissa) (5) entre 1875 et 1905, De Brazza va bientôt effectuer son septième et dernier voyage au Congo. Vive De Brazza.

Pépin Boulou

Notes

(1) - Voir http://www.congoschool.com/articles/?id=385
(2) - Message à la nation prononcé le 08 août 2005 à la veille du 45ème anniversaire de l’Indépendance.
(3) - Denis Sassou Nguesso, Le manguier, le fleuve et la souris, éditions J.C. Lattès, 1997 pages 48-49.
(4) - Georges Maboma, le commerce dans la zone Congo-Alima (Connaissance d’un peuple), in La Semaine Africaine N° 2094 du 7 novembre 1996, page 10.
(5) - Bélinda Ayissa, éditorial du journal "Les dépêches de Brazzaville" N° 103 du lundi 30 mai 2005.

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