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Portraits d’écrivains (12). Dix questions à la Sénégalaise Mame Diarra Diop :"Le problème des petites maisons d’éditions africaines, c’est le suivi post-éditorial qui n’ est pas vraiment assuré".

Notre espace est ouvert aux nouvelles plumes - et vous l’avez sans doute déjà constaté. Nous poursuivons cette mise en lumière avec Mame Diarra (photo). Née à Paris, elle a grandi au Sénégal. Actuellement journaliste indépendant, dans ce premier roman, Fanta Diabi, elle nous raconte son enfance - elle se demande d’ailleurs si celle-ci n’est pas celle de tout être. Un premier livre doit-il forcément embrasser l’autobiographie ? Pourquoi pas. Camara Laye l’a fait. Tout est question de ton, d’émotion, et finalement, du souvenir qui reste longtemps gravé dans la mémoire du lecteur. Nous lui souhaitons donc bon vent. Et que ce livre en appelle d’autres... En attendant, nous lui avons posé 10 questions.


1. A quand remonte ton désir d’écrire et comment est ne ce roman "Fanta Diabi" ?

D’aussi loin que je me souvienne, je tenais des petis journaux secrets depuis la sixième à Dakar et j’y racontais mes impressions sur le monde, mes
amis, mes camarades d’école et tout le reste. Quant aux histoires de Fanta
Diabi, elles sont venues par nostalgie du pays et c’est avec naturel que ces
épisodes de l’enfance sont sortis de moi pour prendre de l’ampleur.
Certains disent recueil de nouvelles, d’autres parlent de roman. Mais au
début, Fanta se trouve dans son jardin, fait une bêtise et se fait
surprendre par Papa... Au milieu du livre, elle est toujours aussi
espiègle... A la fin, elle sort de sa bulle enfantine... Un ami a comparé
ça aux histoires des Malheurs de Sophie de la Comtesse de Ségur et c’est
plutôt dans cet esprit. Autrement, je continue d’écrire et je m’aperçois
qu’on écrit beaucoup sur soi, d’où le défi d’écrire un véritable roman avec
des personnages, une trame et tout le reste, exercice auquel je m’essaye en
ce moment et qui me réussit plutôt bien... avec toute la part de casse tête,
de relecture et de réecriture de passages entiers.

2. Comment un jeune auteur arrive-t-il enfin à voir publier son roman quand on imagine les difficultés pour "trouver" un éditeur ?

Pour Fanta Diabi, je n’ ai pas vraiment eu de difficultés. J’avais envoyé le
manuscrit à trois éditeurs. L’un m’ a répondu que c’était trop naif et que
ça n’entrait pas dans leur ligne éditoriale. Le second n’a pas répondu et
a gardé le manuscrit près d’un an. Le troisième qui est Klanba et pas le
moindre, a répondu avec enthousiasme. L’éditeur que je rencontrai dans une
radio de la place m’a dit ces mots : " Mademoiselle, j’ ai lu votre
manuscrit et je vais le publier tel quel !" Vous imaginez ma réaction...
Cela dit, les difficultés en ce qui me concerne, sont venues après la
parution du livre...

3. Justement, lorsque tu fais le bilan - après cette parution de ton livre - quel est selon toi le plus grand calvaire du jeune écrivain ?

L’édition d’un premier livre est
aléatoire et tous les éditeurs n’ont pas un service de presse efficace. On
peut même tomber sur un bon éditeur et demeurer invisible. Je me souviens
d’avoir aperçu à la gare Montparnasse une dame rescapée d’une grande maison
d’édition obligée de vendre son propre stock à moitié prix, un cabas bien
lourd au dos...

Et quand on débute, ce qui importe, c’est d’avoir des
lecteurs fussent-ils quelques uns et de participer à des lectures, des
foires, des salons pour rencontrer les gens. J’ai été l’an dernier au salon
du livre avec huit petits livres que j’ai pu dédicacer. Ce qui m’a touché,
c’est quand une petite fille a insisté pour que ses parents lui achètent mon
livre. Hélas, il y a une part d’ombre : la réaction de mon éditeur avec
qui je ne me suis finalement pas entendue. J’ai voulu aider à la promotion
du livre puisque je suis journaliste et je me suis heurtée à un personnage
quelque peu autoritaire. Aujourd’hui, nous n’avons plus vraiment de
relations et je cherche à me faire éditer ailleurs. D’un côté, je souhaite
que les gens achètent mon livre et de l’autre non, car je ne suis pas
impliquée dans la vie de mon propre livre. Voilà l’un des calvaires du jeune
écrivain.

4. Il y a pourtant maintenant plusieurs collections de littérature dédiées aux écrivains africains... N’es-tu pas tentée par elles ?

Il est certain que cela peut ghettoiser des écrivains africains dont les
plumes voudraient s’étendre à des vents internationaux comme toi Alain.
Mais nous sommes en France, et l’ouverture n’est pas encore totale dans
l’esprit de tout le monde. Ceci dit, si les collections sont bien faites et
qu’elles conviennent aux auteurs eux-mêmes, tant mieux. Les livres de Continents Noirs [collection de littérature d’Afrique et sa diaspora] sont plutôt jolis et bons. Je connais même
certains à qui cela offre une belle visibilité. Le problème des petites
maisons d’éditions africaines, c’est le suivi post-éditorial qui n’ est pas
vraiment assuré. Heureusement, les éditions Monde Global ou Cauris se
démarquent par leur sérieux.

5. La littérature sénégalaise est riche, avec des géants comme Cheikh Hamidou Khane ou Aminata Sow Fall... Comment négocier sa place au milieu de ces baobabs ?

Pour l’instant, je n’ai publié qu’un seul livre et grâce à ton blog, il va un peu plus sortir de l’ombre.

Aminata Sow Fall

Disons que je suis à l’aube de ma carrière
littéraire et quand j’écris, je ne me compare pas aux Cheikh Hamidou Khane, Aminata Sow Fall ou Abdoulaye Sadji. Pour moi, ce sont de grands écrivains, des références que j’ai lu et
que je relis à chaque fois. Aujourd’hui, je cherche plutôt à développer mon style. J’y travaille et j’aime me surprendre moi-même. J’essaye aussi de
trouver le temps d’écrire, peut être que je ne le fais pas assez avec mes
mille activités !

6. Quelle réaction as-tu lorsque tu entends par exemple certains parler de "plume féminine" ou de litterature féminine ?

Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que parce qu’on est une femme, on a
forcément une plume féminine ? Est-ce une manière d’écrire ? De parler de
sujets plus que d’autres ? Ca ne veut pas dire grand chose. On est un
écrivain, on a une plume, la sienne et c’est tout. Ou alors, parlons de
plume Achebeienne, de plume noire, de plume engagée, de plume d’oiseau...

7. Au fond, quel regard portes-tu sur les lettres africaines actuelles ?

Elles sont riches. Elles foisonnent. Des auteurs naissent et se démarquent de nos grands : Fatou Diome, Fabienne Kanor, Bilguissa Diallo avec
Diasporama, Fatou Biramah avec Négresses... Oui, ce sont des femmes.

Fatou Diome

Pour les hommes, il y a Waberi que j’ adore même s’il a déjà
fait ses preuves... Quelle écriture lyrique et vocabulaire incroyable dans
Aux Etats-Unis d’Afrique ! Avec Waberi, j’ ai appris des mots comme dans
Cahier Nomade et, pour écrire, il faut beaucoup lire comme me l’a
conseillé le poète sénégalais Elimane Kane au dernier salon du livre...
Enfin, il y a le problème de la diffusion du livre en Afrique. J’ai
l’impression quand j’observe la renommée de certains auteurs que leurs
lettres sont réservées à un public occidental. En même temps, on dit que les
africains ne lisent pas et n’achètent pas assez de livres, cela est peut
être vrai, mais en Afrique, il y a d’ autres préoccupations plus urgentes
que la littérature.
C’est bien dommage.

8. Avec quels auteurs reconnais-tu avoir des affinités littéraires ?

Alors là, c’est une question un peu difficile. J’aime lire des auteurs du
monde entier, aussi bien africains qu’indiens ou américains. Il y a
l’italien Dino Buzzati dont les nouvelles fantastiques m’interpellent. Et
dans Fanta Diabi, il y a
une histoire qui sort un peu du réel : celle avec Jargone l’araignée que je
vous recommande particulièrement. Elle évoque cette peur ancestrale de la
créature octopode... Et puis Les Contes d’Amadou Koumba, les récits d’
Hampâté Bâ. Par ailleurs, la veine narrative d’Agatha Christie, les
explorations de Jules Verne etc. Je suis même une grande fan de la série
des Harry Potter tous dévorés.

9. Que nous prépares-tu apres "Fanta Diabi" ?

Un roman. Peut-être une histoire d’amour...

10. Quelques lectures à conseiller aux amis du Blog ?

Le parlement conjugal de la mozambicaine Paulina Chiziane chez Actes Sud.
Le Dieu des Petits riens d’Arundhati Roy. C’est une peinture
captivante de la société indienne du Kerala, un drame familial qui se
rapproche par moments de nos réalités africaines. Autrement, je découvre la
série des Ségou de Maryse Condé. Il y a aussi Voyage aux pays du Coton d’Erik Orsenna chez Fayard qui est très intéressant... Et pour philosopher, Le Prophète de Khalil Gibran...


Fanta Diabi, Klanba Editions, 2006, disponible en ligne sur www.zahbra.com ou fnac.com

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