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Pierre Claver Mabiala, l’homme des festivals

Si quelques uns produisent sporadiquement des spectacles, rares sont ceux qui œuvrent professionnellement et avec continuité. Pierre Claver Mabiala est de ceux-là.

"Aide-toi le ciel t’aidera" , cet adage élémentaire est trop rarement mis en application par les congolais plus pressés de profit que de qualité. Pierre Claver Mabiala, pour sa part ne cesse d’agir et de se perfectionner sans céder à l’attrait de l’argent facile et des honneurs de circonstances. Il présente toutes les qualités pour devenir un grand promoteur de spectacles.

Pierre Claver est avant tout comédien. Le public ponténégrin se souviendra longtemps de sa prestation, au milieu d’un CCF en chantier, aux côtés de sa compagne Aimée Mavoungou dans « Le tigre bleu de l’Euphrate » mis en scène par le pontonophile Jack Perché. Jack a aussi permis au couple de se produire en mini tournée en France au Mans, à Angers et à Laval où il a connu un franc succès.

Claver est aussi le très actif directeur de l’Espace Yaro face à la commune de Loandjili. La mairie du 4ème arrondissement a joué un grand rôle envers l’Espace Yaro puisqu’elle l’a hébergé durant des années avant que ne se libère une parcelle où l’association a pu gagner en indépendance. Si l’espace Yaro développe de nombreuses activités autour de ses propres productions, il est aussi un lieu d’accueil pour des spectacles locaux ou des tournées. Yaro a bénéficié d’une chance de sortir d’un relatif anonymat et d’une marginalisation de proximité du fait de la perte, par le CCF de la salle de « La Pagode », une part importante de l’activité spectacle ayant migré vers Yaro. Claver a maintenant laissé la direction de la compagnie Bivelas qu’il avait créée en 1992, à Jean-Baptiste U’Taliane, tout en y demeurant membre actif et comédien.

Toutes ces activités sont le quotidien de Claver, mais il est aussi le promoteur des Jouthec, les Journées Théâtrales en Campagne, sans aucun doute le meilleur d’entre tous les festivals de théâtre qu’héberge la ville océane, en tout cas le seul qui commence à avoir une renommée en dehors des frontières. La huitième édition de cette manifestation biennale est en préparation pour décembre 2008. Il est en outre le créateur du festival de musique U’sangu Ndji Ndji qui a connu un vif succès en juillet 2007 et qui a reçu des vedettes africaines internationales comme Annie Flore Batchiellilys et Jacques Loubelo. Ce festival annuel connaissait-là sa troisième année.

A 19h, le 18 octobre à l’Espace Yaro aura lieu le 2ème Cabaret des Artistes. Profitez-en pour faire la connaissance de ce lieu, vous ne le regretterez pas.

Pierre Claver Mabiala, et Ya Sanza, qui sont de vieux amis, se sont entretenus à bâtons rompus. Voici l’essentiel de leur discussion :

Ya Sanza : Bonjour Pierre Claver Mabiala, j’aimerais que tu nous dises quel est ton itinéraire.
Pierre Claver Mabiala : Je commence à l’église par des scénettes en 1986. En 1988, je suis retenu dans la troupe « les Mariens » du CEGP Moe Poaty où je suis élève en classe de 5ème. En 1992, la Troupe change de nom, nous sommes au moins cinq co-fondateurs de la Compagnie Théâtrale BIVELAS. La même année, on commence la collaboration avec le CCF de Pointe-Noire, je rencontre alors le théâtre professionnel : la salle "la Pagode", l’atelier Punta-Négra, une presque école de théâtre avec des tournées en Europe, en Afrique... l’envie de faire du théâtre professionnel me gagne. Nous bénéficions au niveau de la Compagnie Bivelas, des formations des membres de l’Atelier Punta-Negra. En 1997, nos encadreurs de Punta-Négra nous lâchent et, je suis porté à la tête de la Compagnie en double qualité de Directeur et de metteur en scène. Mes premières mises en scène commencent en 1997,... et à partir de 1998, je commence à faire voyager la compagnie Bivelas et mes mises en scènes en RDC, au Burkina-Faso, au Bénin... En 1999, je lance le Festival JOUTHEC (Journées Théâtrales en Campagne) et, l’Espace Culturel YARO. Et depuis, je suis répertorié par des réseaux professionnels en Afrique et en Europe. J’ai une formation mixte de comédien, metteur en scène et de gestionnaires de projets et structures culturelles. J’ai été formé d’abord sur le "tas" par des metteurs en scène congolais, puis dans des stages, ateliers, sessions internationales de formation au Congo, en Afrique et en France. Je mène en même temps ma carrière de comédien, de metteur en scène et d’opérateur culturel-gestionnaires de structures et de manifestations culturelles

YS : Comment est né l’Espace Yaro ?
PCM : Nous créions au Centre Culturel Français de Pointe-Noire des spectacles que nous jouiions une seule fois l’année pour un public expatrié. En 1999, nous avons ressenti le besoin de représenter davantage nos spectacles. Il fallait donc se créer de nouveaux publics ; ramener le théâtre et les arts vers les populations dont nous étions issues. On a réussi donc, à s’installer dans un espace public, en plein quartier populaire, dans l’enceinte de la mairie de Loandjili, c’est la naissance de l’Espace Culturel YARO. Espace où non seulement la Compagnie Bivelas pouvait travailler, mais aussi où les rencontres entre artistes pouvaient se dérouler, et qui pouvait recevoir des spectacles d’autres compagnies de Pointe-Noire,....

YS : Yaro au début était hébergé par la commune de Loandjili, comment as-tu fait pour obtenir les autorisations nécessaires ?
PCM :Quand on a décidé, de s’installer au coeur du public congolais, nous travaillions déjà avec l’Inspecteur de la Jeunesse de Loandjili sur de petites activités de sensibilisation des jeunes.... c’est donc, par l’inspection de la jeunesse que nous arrivions chez Monsieur le Maire à l’époque Monsieur Jean Gilbert Ngakosso (un Monsieur qui a été un élément déclencheur pour la valorisation de l’action espace Yaro). Nous avons aussi bénéficié de l’appui administratif du Directeur Départemental de la Culture et des Arts Monsieur Fréderic Pambou. Ces aides ont facilité notre accueil auprès de Monsieur le Maire. Dès que nous avons eu les autorisations, nous nous sommes cotisés pour lancer l’aménagement d’un bureau et du podium de l’Espace Yaro

YS : Aujourd’hui Yaro dispose d’une parcelle que vous louez. Les installations sont encore précaires mais vous parvenez à y faire des miracles. Peux-tu exposer à nos lecteurs les problèmes que pose cette implantation ?
PCM :C’est difficile, sans subvention de l’Etat, du Ministère de la Culture... En principal Animateur de l’Espace Culturel Yaro, je dois travailler doublement (Comédien, metteur en scène, prestations, voyages …) pour ramener un peu de sous à la maison afin de régler les charges de fonctionnement ( loyer, eau, électricité, salaires - bien qu’encore très faibles - de cinq agents, l’entretien...). On commence timidement à réaliser quelques actions d’auto-financement, mais pas encore effectifs... On est toujours en train de devoir à quelqu’un, les salaire, le loyer, les charges, c’est difficile, c’est dur, mais j’aime ce que je fais, j’arriverai un jour à tout boucler....

YS : Parle nous des festivals que tu organises.
PCM : J’ai, sous ma Direction créé avec la Compagnie Théâtrale Bivelas, le Festival JOUTHEC (Journées Théâtrales en Campagne), en 1999. Cette manifestation permet la rencontre et les échanges entre artistes de différents horizons, l’éducation, la sensibilisation, la formation des populations rurales par le théâtre, la valorisation du théâtre en tant que loisir sain en milieu rural, ce milieu loin des politiques de développement... De nombreuses activités s’y déroulent entre la ville de Pointe-Noire et les campagnes environnantes. Il était festival Annuel et depuis 2004, il est devenu un festival biennal (les années paires), la prochaine édition, la 8ème est prévue en décembre 2008. Signalons que depuis 2005, j’ai cédé la Direction de la Compagnie Théâtrale Bivelas à Jean Baptiste U’Taliane et à Aimée Patricia Mavongou, pour m’occuper de l’Espace Yaro. Ce sont ces derniers qui assurent également la Direction du Festival JOUTHEC. Je reste quand même dans l’organisation comme chargé à la programmation et à la formation.
Avec l’Espace Culturel YARO, j’ai créé en 2005, le Festival des Musiques de recherche U’SANGU NDJI-NDJI , plate-forme de formation, d’échanges entre les musiciens de la démarche. Espace de promotion des traditions, des cultures, du patrimoine musical africain par la musique. Plusieurs activités sont programmées à ce festival : ateliers, formations, conférences, concerts, visites touristiques, expositions, ..... La prochaine édition de ce festival annuel est prévue du 16 au 20 juillet 2008 avec comme innovation, l’Atelier Sous-régional sur le Chant, animé par la chanteuse Gabonais Annie Flore Batchiellilys et Queen Eteme du Cameroun.

YS : Je connais vos activités depuis des années et le problème récurent qu’elles rencontrent est d’ordre logistique. On a même vu des spectacles annulés à la toute dernière minute. Que comptes-tu faire pour remédier à cette carence ?
PCM :Je suis conscient de ce que tu dis, je suis bien d’accord avec toi d’ailleurs que ce sont des problèmes réels. Ecoute, on voit très grand lors de la conception du projet, chaque édition est un projet, mais à la réalisation, on n’a pas ce qu’on avait pensé... on s’entête un peu pour garder l’image même de ce qu’on voulait... mais parfois, cela arrive souvent, le réalisme est têtu, alors on se plante, on fait honte à notre organisation, on se réduit en amateur...
Bien, comment je compte faire, d’abord, faire les choses longtemps à l’avance, puis, prendre le temps, bien avant la réalisation du festival, de recadrer l’organisation, la taille de l’événement par rapport aux réalités. Eviter d’avoir pour être concret par exemple, mille lieux de représentations alors qu’on n’a pas le matériel et la logistique nécessaire pour les gérer... le mieux pour rester dans cet exemple, d’avoir un seul lieu, avec tout le matériel, toute la logistique concentré là, on sera efficace... je commence par là aux prochaines activités...

YS : La moindre troupe théâtrale ponténégrine veut mettre en place son propre festival. Sans mettre en question la qualité des spectacles qui y sont proposés, on doit bien constater l’amateurisme de la majorité de ces manifestations, en général très mal organisées et promues. Ne penses-tu pas que cette prolifération nuit aux initiatives plus sérieuses ? Ne vaudrait-il pas mieux que ces évènements se fédèrent ?
PCM : Il est un peu délicat pour moi de répondre à cette question, mais, je vais faire triompher le professionnalisme. Je suis le premier à faire des espaces et des festivals à Pointe-Noire. Si je dis « ne créez pas pour créer », tu connais la réponse puisque tu es Ya Sanza, donc dans la réalité ponténégrine. La réponse : Claver est jaloux, il ne veut pas que les autres fassent, il veut rester seul dans le domaine... mais, je disais, ma réponse va faire triompher le professionnalisme. Ce n’est pas bien cette façon de faire à la va vite, sans études de terrain et de stratégies, c’est nul, il ya des festivals où le public veut avoir le programme, mais il n’existe pas. On s’était ressaisi un moment avec le défunt Jean Jules KOUKOU, on n’a pensé mettre en place un outil de régulation des festivals, d’harmonisation des dates, d’encadrement... : le Collège des Festivals, tu parles, les gens voulait seulement qu’on leur fasse l’administration gratuite, qu’on leur accorde des espaces de productions gratuits... et quand on demande des cotisations, ils ne veulent pas,... c’est triste. Continuer à faire ainsi, nous dévalorise tous, on ne saura plus dans cette confusion, qui peut bien faire...
L’idéal serait qu’une bonne partie de ces festivals se fédère comme tu dis, afin qu’on puisse avoir maxi 3 festivals avec des champs d’action bien définis, des stratégies bien élaborées, un calendrier bien étudié, ceci pour le bonheur de notre public, pour la richesse de notre ville,.... mais, que veux -tu. Sur cette question, je terminerai en disant que dans chaque secteur d’activité, c’est une chaîne qui fait la réussite du secteur : il faut qu’on accepte que tout le monde ne peut pas être directeur de festival ; il faut un directeur, il faut les collaborateurs du directeur, il faut des artistes, il faut des metteurs en scène, il faut du public, il faut...

YS : Dernier mot, la Culture sans argent ?
PCM :Chez nous au Congo-Brazza, on a de bons artistes, techniquement ça peut aller, de bons organisateurs, mais il n’ya pas l’accompagnement de l’Etat. Dans ce monde où on parle de plus en plus de Globalisation où même les biens culturels semblent être englobés, dans ce monde où seule la Diversité Culturelle nous aidera à rester ce que nous sommes, congolais, avec nos traditions, nos cultures, nos identités,... comment défendre les identités culturelles congolaises, si on n’a pas les moyens d’en faire la promotion et la diffusion. Prenons des exemples des pays africains comme nous, le Cameroun a un compte d’affectation spécial pour la culture, annuel de Un Milliard de Francs CFA, le Gabon à une politique de soutien et de promotion culturelle qui conduit à financer des artistes, des manifestations telles que nos festivals à plus de dix millions l’activité, la RDC, a un fonds de promotion Culturelle ouvert aux opérateurs culturels, le Burkina-Faso, le Sénégal, le Bénin... n’en parlons pas. Et le Congo, on n’a parfois honte quand lors des rencontres professionnelles à l’étrangers, les représentants d’autres pays africains énumèrent les programmes de soutien à la culture de leurs pays, nous congolais, on s’éclipse de la salle car on n’a honte de ne rien dire...
LA CULTURE NE PEUT PLUS SE FAIRE SANS ARGENT, MEME EN AFRIQUE.

Espace culturel Yaro
face à la mairie de Loandjili
B.P. 5305 Pointe-Noire
tel : (242) 557 34 55 / 678 80 16
Email : [email protected] - [email protected]

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