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Dany Bitsindou : La Sécurité sociale en République du Congo. Aperçu, Analyses, et Perspectives

Comme s’il ne voulait pas tirer sur l’ambulance, Dany Bitsindou nous a fait grâce de considérer le système de la Sécurité sociale au Congo comme perfectible, fonctionnel, idéal-typique, etc. Dieu sait pourtant combien ce « machin  » (pour parler comme de Gaulle) mérite qu’on le voue aux gémonies. Car c’est tout le bien qu’on en pense.

L’évangile fut, mi-figue, mi-raisin, déjà dit par Mgr Ernest Kombo : la retraite reste une « bénédiction pour un bon travailleur  » (p.91 dans le livre de D. Bitsindou).
Le prélat ne croyait pas si mal dire notamment après son verset satanique sur le sort des « retraités maltraités »

DANY BITSINDOU

Cadre à la Sécu en France, Dany Bitsindou a méticuleusement déroulé, en deux temps, dans un essai d’un peu moins de cent pages, la morphologie de la Sécurité sociale congolaise, ses mécanismes, ses interactions. D’abord la superstructure, ensuite son infrastructure, (l’état des lieux empirique sur le terrain).

Ne riez pas : oui il existe une Sécu au Congo, même si pour nombre de Congolais il s’agit d’une arlésienne. Dany Bitsindou l’a rencontrée. Il en a tiré une monographie qui se lit assez facilement. (« De Clignancourt à Porte d’Orléans », dixit un critique littéraire. )

Le titre de ce travail de fourmi : « La Sécurité sociale en République du Congo. Aperçu, Analyses, et Perspectives » attire d’autant plus l’intérêt que le sujet est d’actualité en France et alors qu’il n’y a pas match entre le pays de Macron et le pays de Sassou, le locataire de l’Elysée n’en finit pas d’en faire les frais au terme de son projet de réforme sur les retraites.
Quant à son vieux pote, Sassou, ce dernier s’en fiche royalement en dépit du malheureux sort de ses compatriotes ayant fait valoir leurs droits à la retraite. La sécurité politique de son régime est intacte malgré l’inefficacité de la Sécurité sociale congolaise. Pourquoi en prendrait-il la mouche ? Il ne se soigne pas au Congo mais à Marbella en Espagne tandis qu’après avoir ruiné son pays, sa fortune l’a placé, à jamais, à l’abri de toute tourmente existentielle.

Avertissements de l’auteur :
« L’ouvrage se positionne ouvertement contre la substitution du principe de l’égalité sociale à la charité découlant de la seule solidarité philanthropique car dans cette forme de solidarité, il est important de déceler, dans les rapports qu’entretiennent les bénéficiaires et les donateurs les velléités de dépendance et de subordination, d’achats d’honneurs ». (p.p.12 et 13).

L’ASSURANCE UNE VIEILLE TRADITION

On apprend par l’auteur (mais on s’en serait douté) que le système actuel de la prise en charge des individus a des sources dans le passé traditionnel des populations.

« Il existait …avant la colonisation, une cohésion sociale « traditionnellement assurée par les chefferies, clans et tribus » (p.9). Et que même un certain administrateur (Maginot), célèbre pour sa Ligne, légiféra à ce propos sous le régime colonial français au Congo. (Décret Maginot du 1er décembre 1928 et Décret-loi Maginot du 17 juillet 1935...) (page 23)

PROBLEME

La question qui taraude nos esprits et dont on a hâte d’avoir la réponse (bien qu’on en ait une idée) est d’emblée posée pages 10 et 11 :
« Quel est le destin des ressources prélevées au titre de la Sécurité sociale ? L’inaccessibilité aux prestations est-elle une conséquence de l’inexistence aux droits réels ? »

Question légitime car on reste bouche bée devant l’inadéquation entre les richesses colossales de ce pays et la pauvreté abyssale dans laquelle vivent les assurés. On peut dire, qu’au Congo, pour paraphraser le calembour de Mgr Ernest Kombo, il y a les retraités, les maltraités et.... les traîtres à la Nation !

Entendons-nous bien. L’auteur n’incrimine personne. Cependant conscient du problème philosophique induit, il convoque en avant-propos, Robert Castel, penseur politique, comme pour s’indigner de l’âpre réalité du terrain social congolais :

« Il faut rappeler avec fermeté que la protection sociale n’est pas seulement l’octroi des secours en faveur des plus démunis pour leur éviter une déchéance totale. Au sens le plus fort du mot, elle est pour tous la condition de base pour qu’ils puissent continuer d’appartenir à une société de semblables. »dit , vindicatif, R. Castel. (p.5)

Mais, une fois brandi l’étendard de l’éthique, Dany Bitsindou, un tantinet jésuite, par la suite, se garde de donner un coup de pied gaullien dans la fourmilière du « Machin » appelé Sécurité sociale congolaise.

Pourquoi se le cacher ? La Sécu congolaise est un naufrage. L’auteur, dont un ami, Guy Brice Parfait Kolélas, a été quasiment zigouillé par le système santé congolais,
l’auteur, dans la deuxième partie de son essai, corrobore cette thèse catastrophique.
Notamment les conventions collectives.
« Dans leur réserve quant à la logique se dégage une convergence : déjà nous ne sommes pas au courant du protocole établi entre la caisse d’assurance maladie et pour servir à crédit les médicaments » critiquent mezzo voce les pharmaciens. »(p.75)

« Dans ce pays l’état traine à payer les factures des opérateurs économiques » achèvent de critiquer les apothicaires (ibidem p.75)

Applications informatiques

Poussant le cynisme à son comble, une tentative d’informatisation de la sécu a été envisagée. Sauf que le pays n’est pas doté de couverture fiable de la fibre optique. Accablés de délestages chroniques, les patients ont le temps de rendre l’âme avant de faire usage d’une application informatique qui, de toute façon, est aussi dysfonctionnelle qu’introuvable et inexistante.

Dieu merci, les pharmaciens doivent faire face à une concurrence loyale des vendeurs de médicaments à la sauvette chargés dans leurs besaces de molécules contrefaites au Nigéria. On ne peut pas mieux envisager un génocide à petit feu de tout un pays.

Pour la réforme des retraites, en France, Macron a eu l’honneur d’un concerto de casseroles au seuil de l’Elysée. Au Congo la musique des ustensiles de cuisine sous les fenêtres des ministères est une vieille tradition. Les arriérés chroniques des salaires et des pensions, les bourses d’étudiants sucrées par le ministère, sont monnaies courantes au Congo, un pays où le rôle des casseroles consiste à préparer de moins en moins les repas des familles en précarité absolue.

CRITIQUES

La Sécurité sociale au Congo est à l’assuré ce que, selon le sociologue Michel Crozier, « le Système est à l’acteur » : c’est-à-dire un phénomène bureaucratique lourd de maladresses et de stress, une nébuleuse. Ca ne fonctionne que dans le « renversement stigmatique » ( Louis Gruel) c’est-à-dire horriblement.

On n’a pas idée, à en croire le vécu des Congolais, de l’arnaque dont ils sont victimes, notamment les retraités. Etape logique après avoir travaillé, «  Au Congo, les retraités sont des maltraités » dénonça le Prélat, Mgr Ernest Kombo. Ce qui lui valut les foudres du Pouvoir.

Genèse

Pourtant cette affaire avait bien commencé. « Au début de l’indépendance, la République du Congo a lorgné du côté de l’Etat-Providence....Ses potentialités naturelles étant énormes avec une population d’un million d’habitants, il ne devait pas y avoir d’obstacle majeur ...d’autant qu’il existait dès en 1956 une Caisse des compensations et des allocations familiales » analyse Dany Bitsindou (p.9)

Il existait d’ailleurs, avant la colonisation, une cohésion sociale « traditionnellement assurée par les chefferies, clans et tribus  » (p.9)

Le système, né des nouveaux rapports de production sous le régime du salariat, s’est d’autant facilement intégré avec bonheur dans les représentations traditionnelles qu’il a reproduit les solidarités claniques lignagères.

Que diable s’est-il passé ensuite ? Car il ne faut pas se leurrer : il y a une belle main noire.

Aliénation

Si la sécurité sociale a des visées philanthropiques, nombre de philosophes, à commencer par les marxistes, considèrent que la prise en charge des populations vulnérables est une politique capitaliste visant à rendre les travailleurs corvéables et exploitables à jamais. Inutile de revenir sur la théorie de l’aliénation chère aux marxistes qui ont analysé que sous la sécurité sociale des travailleurs se cache leur exploitation.

Et pour le cas du Congo, la sécurité sociale est une grosse arnaque car et la finesse de l’aliénation et la compensation allocataire sont des institutions qui ont disparu. La Sécu est devenu la vache à lait d’un réseau d’agents véreux. Poule aux œufs d’or, elle est contrôlée par des nervis branchés dans un clientélisme face auquel les plans du FMI restent inefficaces. Le comble pour une économie basée sur le pétrole et bénéficiant des faveurs apportés aux PPTE.

Rendons à Marx ce qui est à Marx et à Dany Bitsindou ce qui lui revient en termes d’approche. Bien qu’observateur privilégié du phénomène de la sécu en France (Bitsindou y bosse) l’auteur se démarque, d’entrée, de la problématique de l’aliénation. : « Loin de dresser un bilan des politiques sociales congolaises de ces dernières décennies, ainsi que de ses conséquences en tous points, cet ouvrage se veut, dans une tentative d’objectivité, à des kilomètres de la politique politiciennes. » apaise-il. (p.7)

Par ailleurs constat-t-il :
«  La non assistance aux familles vulnérables ; les arriérés des pensions de vieillesse et d’invalidité, l’absence d’aide sociale aux personnes en situation handicap ou dépourvues d’emplois, les mortalités liées à la pauvreté, transcendent en effet les considérations politiques ». (p.7)

« Cet ouvrage se veut dans une tentative d’objectivité, à des kilomètres de la politique politicienne » (avant-propos, page 7)

Hum, difficile dans ces conditions de ne pas politiser une étude sur la Sécurité sociale quand ce monstre froid ne génère qu’insécurité sociale au sein des populations et accroit des drames psychologiques dans leur somatique.

Si cette affaire avait bien commencé avant et après la période coloniale, au temps de Maginot, il ne demeure pas moins que, par la suite, sonna le glas des acquis du premier régime ( celui de Youlou).

«  Sans naïveté aucune, sans détour, se pose le problème des gestions de ressources financières et de la performance des causes de la Sécurité sociale au Congo… L’inaccessibilité aux prestations est-elle une conséquence de l’inexistence aux droits réels ? » (pp10 et 11)

La question qui fâche, on la connaît : « Où va notre fric ? »

Le destin des ressources ? Mais pardi, il est dans les villas cossues acquises en Afriques et en Occident par les cadres et subalternes de la Sécu ayant monté des stratégies de détournements desdites ressources.

Méfiant comme un Apache, l’auteur a éludé la réponse alors que celle-ci se voit comme le nez sur le visage.

Victor Hugo romancier de la misère s’adressa avec colère devant le parlement. « Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée.  » On en est loin.
Nous, nous voulons la sécurité d’état supprimée au profit de la sécurité sociale l

De mémoire de Congolais depuis les années 80 (alors que l’Institution date des années 50) notre sécu (comme disent les Français ) bénéficie d’un préjugé défavorable qu’elle n’a pas volé, péjoratif, dénué de considérations, cela depuis le jeu de mot, certes facile, de Mgr Ernest Kombo avant de prendre sa retraite de la terre des vivants : retraités = maltraités. Traiter les retraités de maltraités montre que le risque est un drame auquel s’expose en fin de curriculum le citoyen gouverné par des crapules.

L’Eglise a fait alliance avec le peuple dans l’esprit de la théologie de la libération. Mgr Kombo commença le sermon, on l’a vu infra, d’abord avec les Béatitudes des retraités, ensuite, ex abrupto, avec les oraisons des maltraités. L’Archevêque Manamika Bafwakouaou n’ a hélas pas prit le relai des gémonies. Pourquoi le ferait-il si les conditions sociales des brebis de Dieu sont déterminantes pour le refuge dans la foi. Je veux dire ceci : la misère du peuple serait-elle propice à l’élargissement pastoral ? Plus il y a misère, mieux se porte l’Eglise !

Dans ce cas, Dieu le Père doit une fière chandelle à l’incompétence de la Sécurité sociale Congolaise puisque 90% de la population, déçu par l’Etat, préfère confier son salut à la Providence et à la Prière plutôt qu’aux Caisses d’allocations dont la mission capitale est pourtant de prendre en charge, travailleurs, retraités, étudiants, veuves, orphelins, familles en difficulté. Bref, soulager la misère du monde congolais.

Ce qui est loin d’être le cas.

Lambert EKIRANGANDZO

Dany Bitsindou : « La Sécurité sociale en République du Congo. Aperçu, Analyses, et Perspectives » 98 pages. Avril 2023. 17 euros Editions Les Lettres Mouchetées Editions

Du même auteur : « L’ultime combat de Guy-Brice Parfait Kolélas. » Edition Les Lettres Mouchetées.

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