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Faux-amis

Un quiproquo dans la langue kongo des deux rives

Les grandes merdes viennent de la grammaire. Ainsi le verbe voler, indistinctement (yiba ou laba) en kongo sème le trouble dans une vidéo sur la toile. En effet, à une syllabe près, l’articulation peut friser le naufrage moral selon qu’on est auditeur kongo RDC ou kongo-lari RC. Preuve par l’oreille, le sermon de ce notable rdécéen en langue kongo. Il s’agit à notre avis d’un excellent sujet d’étude pour les linguistes des deux rives. Cliquez sur le lien ci-après
https://youtu.be/CREJA0OrC9k?t=8

CONTEXTE

Un véhicule de transport rempli de marchandises remontait de Matadi vers Kinshasa quand, au lieu-dit Kimpika, un accident le stoppa net. La cargaison (des poissons Thomson) fut prise d’assaut par des badauds opportunistes, kongo du Kongo Central. Au lieu de porter secours, les témoins ont eu recours au vandalisme.

Le sang de notre notable ne fait qu’un tour. Il entreprend de réaliser une vidéo. L’intérêt de la leçon de la chose morale c’est qu’elle renseigne également sur une autre leçon, linguistique celle-là.

Vol, vandalisme, non-assistance à personne en danger, valeurs d’époque, dépravation des mœurs alimentent un flagrant délit dénoncé dans un terrible sermon en langue kongo par un notable kongo qui trouve abominable cet incivisme en dépit de l’éthique religieuse ambiante (car c’est le pays de Simon Kimbangu) et malgé l’éthique politique (car c’est la région de l’ancien Président Kasa-Vubu).

Premier constat : les kongo n’ont pas l’exclusivité de la probité, les autres ethnies celle de la décadence.

FAIT DIVERS

Il s’agit d’un fait divers. Contrairement à Bourdieu, le fait divers ne fait pas diversion. Le notable qui s’exprime dans la vidéo condamne sincèrement le vandalisme rural de ses compatriotes sur la route nationale de Matadi dans la Province du Kongo-Central, ex-Bas-Zaïre.
Là où le bât blesse c’est le débat sémantique. Le moralisateur , croyant de bonne foi faire la leçon, sème le soupçon dans l’intelligence de l’auditoire, notamment kongo de la rive droite du fleuve Congo.

Deuxième constat : le kongo de la RDC n’est pas la langue kongo de la République du Congo.

LA LANGUE KONGO

Le kongo est un gâteau lexical partagé dans l’espace culturel qui couvre le nord de l’Angola, l’ouest de la RDC et le sud du Congo-Brazzaville. Chaque niche langagière est spécifique. Le Canada, la France et la Belgique pays francophones ont également leur spécificité.
Alors il existe des variantes dialectales kongophones selon les lieux d’expression et selon les expressions de chaque espace. Troisième remarque : des exceptions langagières typiques à chaque espace fonctionnent dans chaque articulation. On dira qu’il y a des régionalismes, des idiomatiques.

Le notable de la vidéo s’exprime, semble-t-il en kitandu, une variété kongo proche du kongo-lari pratiqué en République du Congo dans le Pool. Le kitandu dialectal tant aimé de Franco Luambo Makiadi.

Oreille prude s’abstenir aurait dit la pancarte de la police linguistique destinée au locuteur kongo-lari (Congo-Brazzaville).

Sous le coup de l’indignation, le notable kongo incrimine ses compatriotes qui ont eu la lâche initiative de dévaliser un véhicule accidenté au lieu de porter secours aux éventuels blessés.

« YIBA » ou « LABA » LA EST LA QUESTION

« Ba kongo ba yibidi. Ba bakala ba yibidi. » sermonne le moralisateur mutandu.
« Ba kento, yiba » Le comble de l’indignation selon ce sage kongo. « Voler ce n’est pas bon » chante cependant Zaïko. A plus forte raison quand le voleur est une voleuse. « Ba kento ba yibidi »

C’est doublement choquant. Choc langagier et choc de culture. puisque la vidéo a circulé sur les deux rives.

Le verbe voler se dit « yiba » en kongo RDC. Kitandu, kilenfo, kindimbu, kiyombe, kizombo, rive gauche du fleuve Congo. En kongo-lari on dit laba. Le mot yiba est réservé à l’acte sexuel. La différence est de taille.

Une anecdote : un ami rdécéen, du groupe Lemfu de Kasangulu, me présenta une chanson en kongo dont le thème était le cafard-voleur domestique : « ya mpessé wa yiba mu nzo ». Je fis remarquer à mon ami Albert Kisukidi (paix à son âme) que le substantif YIBA avait une autre connotation en kongo du Congo-Brazzaville et que l’emploi de ce terme dans une chanson introduirait la gêne dans les esprits. Il s’en étonna. « Que dirait un Kongo-lari ? » dit-il. « Laba » dis-je.

MIYIBI

Une autre anecdote : deux brazzavillois aux mœurs dissolues venant de Bacongo se retrouvèrent la nuit dans la cour d’une maison-close à Poto-Poto. Le propriétaire de la parcelle aux deux quidams : « Que voulez-vous ? Qui êtes-vous ? »
Eux : « To zali ba MIYIBI » (traduction off : on est venu voir les prostituées).
Pour le proprio, l’affaire était entendue : c’était des voleurs (en lingala MOYIBI). Les malheureux furent rossés. Ils reçurent des coups de pied alors qu’ils voulaient juste prendre leur pied.

« Laba », « yiba » sont des signifiants synonymes et quasi homonymes qui n’ont pas la même connotation.

LE KONGLINGALA

Le coupable de cette dichotomie, le responsable de ce quiproquo, l’auteur de cette hérésie est un grand léviathan : le Lingala.

Le kongo de la RDC est « lingalisé » comme le swahili de l’Ouganda est arabisé. Dans le dictionnaire lingala, l’entrée « voleur » se dit « moyibi ». La déclinaison YIBA coule de source en kongo-kitandu lingalisé (lexique sous influence Lingala). L’impérialisme du lingala sur les langues locales de !a RDC est un fait attesté. La colonisation belge a pénétré la société congolaise en se servant du lingala, langue en usage dans l’armée de la République. Les travaux du Révérend Joseph Van Wing (Les études Bakongo) doivent révéler ce pouvoir du lingala sur les pratiques langagières des Kongo.

IDENTITE KONGO

Le nationaliste Mwanda Nsemi du mouvement politique Bundu Dia Kongo a déploré la poussée massive du lingala dans le Kongo Central, fief lexicographique kongo.

Interaction oblige, il existe autant de mots kongo en lingala que de mots lingala en kongo. Question : au bout du compte le lingala est-il une langue kongo ou l’inverse ?

On va parler d’un nœud-gordien entre les deux communautés linguistiques : les ngala-nsuka.

Les Ngala-nsuka (Franco Luambo Makiadi en fut un) ne sont pas étrangers à l’impérialisme lingala en langue kongo.

Les Ngala-nsuka sont les déportés de la région de l’Equateur que les Belges établirent au début du 20 ème siècle dans le Bas-Kongo en les plaçant géographiquement à la sortie du village, in extremis. D’où Ngala-Nsuka. Le père de Franco Luambo Makiadi Lokanga lwa Ndjo Péné fut un ngala-nsuka.

YIBA ou LABA, tout dépend de la façon dont on prend la langue (aurait dit Sony Labou Tansi, sujet né dans le Bas-Kongo, grandi au Congo-Brazzaville, grand amoureux de la langue kongo)

L’important c’est d’être dans la langue comme un poisson dans l’eau. Les faux-amis, c’est ça aussi la saveur d’un parler. Gare aux pêcheurs en eaux troubles comme dans l’anecdote de Nganga, un kongo-lari, polygame, qui disaient à ses deux épouses : « Wo wé na nsatu kata, nkokela nganga yiba hâ. ». Comprenne qui pourra.

SIMON MAVOULA

https://youtu.be/CREJA0OrC9k?t=8

https://youtu.be/CREJA0OrC9k

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