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De la liberté de l’auteur

Comme promis, je vais essayer d’aborder ce sujet qui fait fonctionner les glandes salivaires plus que de raison, qui fait mourir d’épuisement nos pauvres stylos (heureusement que je n’ai pas de Mont Blanc), sans parler de nos pauvres yeux qui connaissent un vieillissement accéléré depuis que les Pierre-Claver (PC) et autres Ecossais (Mac) ont envahi nos bureaux et demeures.

Lors de ma ½ journée à la porte de Versailles le 18/03 dernier, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les avis sur la liberté de l’auteur, devant sa feuille blanche, entre Raphaël CONFIANT, Laurent GAUDE, Dany LAFERRIERE et Alain MABANCKOU, échanges animés par Rachid ARHAB de France Télévisions(FT).
L’auteur est-il libre d’écrire sur ce qui lui plaît ? Sans tenir compte de sa pigmentation, de son milieu social, n’importe où, n’importe quand ?

J’aime rappeler aux gens le souvenir de ce géant qu’est Simon BOLIVAR, le Libertador de l’Amérique du Sud. Issu d’une famille plus qu’aisée, ayant fréquenté le beau monde dans les beaux salons de Paris et d’ailleurs, il n’a pas hésiter à se libérer de ses carcans pour donner sa vie mille et une fois pour la libération de son peuple, étendant ses luttes et combats à une bonne partie de l’Amérique du Sud qui lui doit tant aujourd’hui.
Ma Religion est faite, l’auteur a le droit d’écrire sur ce qui lui chante.

Qu’il soit né à Mbulankio, de couleur marron et qu’il veuille écrire une épopée sur la Grande Muraille de Chine ou sur les insectes de la Cordillère des Andes, libre à lui de le faire. S’il trouve un public, tant mieux pour lui. Sinon, il aura au moins eu le mérite d’essayer et surtout de mettre en avant ses idées. Car là aussi est toute la difficulté : mettre en place ses idées.
J’avoue qu’avant ces échanges, j’avais certains à priori sur l’homme CONFIANT (rien à reprocher à l’auteur). C’est lui qui m’a le plus interpellé sur ce sujet en ce 18/03. Il s’estime prisonnier d’un système, il pense avoir le poids de l’histoire sur ses épaules, et par conséquent, il ne peut se permettre d’écrire sur autre chose que Sa Martinique, l’Esclavage et autres sujets y afférant. Il en est tellement convaincu qu’il a affirmé, presque péremptoire que son lectorat ne comprendrait pas qu’il écrive sur autre chose, le rangeant dans la catégories des traîtres ! J’ai frissonné un peu en murmurant « [u]pourquoi pas blasphémateur ? ».

Dans le public, une dame que j’avais déjà vue dans la file de la dédicace de Dany a interpellé CONFIANT en disant à peu près ceci : « Ecrivez ! Changez de thème, vous serez surpris de voir que votre public vous suivra ! » Elle n’avait pas de micro mais on était nombreux à l’avoir entendu. CONFIANT a rétorqué qu’il ne pouvait pas. Il félicite et encourage les auteurs qui se sentent libres d’écrire sur ce qu’ils veulent, mais lui ne peut pas. Peut-être qu’un jour, ses enfants et petits enfants, libérés du poids de l’Esclavage qu’il ressent encore aujourd’hui.

« Quand je vois la misère de l’Afrique, quel que soit le pays, j’ai du mal à comprendre que je puisse écrire sur autre chose que ces sujets. » Il préfère laisser le soin aux auteurs de ces pays d’écrire là-dessus et lui de continuer à écrire sur ses sujets à lui ! La dame (Dany nous dira plus tard que c’est une libraire Haïtienne qu’il connaît) ne l’entend pas de cette oreille (je la vois malmener sa tête de gauche à droite). Mieux, CONFIANT a rappelé ce mémorable incident qui l’avait opposé aux Martiniquais lorsqu’il avait coécrit un texte stipulant que « la littérature Martiniquaise n’était pas encore née » car, pour lui, elle naîtra réellement lorsque les auteurs Martiniquais commenceront à aborder des thèmes pas forcément liés à leur île. Lorsqu’ils se sentiront libres d’écrire sur un sujet qui les inspire, quel qu’il soit.

LAFERRIERE lui n’est pas dans le même moule que son « voisin » (l’un est Haïtien, l’autre Martiniquais). Il estime avoir le droit, et apparemment c’est même un plaisir pour lui, d’écrire sur le sujet de sa convenance, et mieux, pour tout public, même s’il estime (sûrement à raison) qu’en racontant des histoires de son enfance à Haïti, la perception ne sera pas la même pour un lecteur Québécois que pour un lecteur Haïtien. Il a ensuite ajouté, ce qui est pour moi le moment le plus fort de ce sujet avec le poids de l’histoire évoqué par CONFIANT, en parlant d’un changement radical qui s’est opéré dans son esprit à l’époque de DUVALIER Père.

En effet, il estime qu’un dictateur n’a que faire qu’on l’aime ou pas, qu’on le déteste ou pas. Tout ce qui l’intéresse, c’est qu’il soit le centre des préoccupations de ses concitoyens ! Comme me l’avait dit une fille il y a fort longtemps, « peu importe que tu m’aimes ou pas. Ce qui m’intéresse c’est que tu penses à moi. En bien comme en mal ! » C’est à partir de là que LAFERRIERE a décidé qu’il serait le centre de sa propre vie, qu’il serait le centre de ses propres préoccupations. Il écrira sur les sujets qui l’inspirent, avec toute la liberté qui le caractérise.

Sans vouloir jouer au politicien, comme il le dira plus tard en donnant raison aussi bien à CONFIANT qu’à la dame du public, il estime que les deux ont raison de s’arc-bouter à leurs positions. Et de dire qu’il connaît très bien CONFIANT, qu’il sait pertinemment que l’homme est sensible à souffrance de Haïti, de son peuple. Il rappelle que l’histoire de Haïti est très différente de celle de la Martinique, que ce qui arrive à Haïti est le résultat du travail des Haïtiens d’abord ; que les Martiniquais n’ont pas la même responsabilité du présent de leur territoire que leurs voisins. Malgré tout, il demande à CONFIANT de se libérer de toutes ses pesanteurs et d’exprimer l’immense talent qu’il a pour parler de ce qui lui chante. LAFERRIERE avait le regard souvent tourné vers CONFIANT, ce dernier, très coi dans son siège semblait hermétique aux appels de son « frère ».

C’est le genre de moments qu’on a envie de graver dans sa mémoire vive jusqu’à son dernier souffle, pour le raconter à sa descendance lors de ses vieux jours, au lieu des débats stériles de FT sur les bienfaits de truc, la haine de bidule envers Z qui aurait ramassé son fromage. C’est à la suite de ce moment qu’il arrachera le Verre Cassé de MABANCKOU pour en faire une lecture assez spéciale, en faisant des dédicaces à ses 7 voisins (pour détendre l’atmosphère ? pour rappeler qu’il s’emmerdait ferme s’endormant par moments j’avais à chaque fois envie d’appeler mon frère cadet pour lui dire que notre phénomène en était vraiment un ).

Laurent GAUDE (celui que Rachid ARHAB appellera au début le quota ethnique, vu qu’il était le seul Caucasien du plateau) lui s’en prendra plutôt aux auteurs « franco-français » (c’est clair ou bien ?), comme ceux qui racontent les histoires de coucheries à 3 ou à plusieurs se passant dans le 7ème (ah ! bon ?), qui ne s’ouvraient pas assez sur les autres, restreignant de fait leur lectorat [dois-je aussi parler du choix du lectorat, de la cible ? cette conférence a ouvert trop de portes... :roll : :o ]. Il pense que ces « franco-français » sont trop autocentrés, pas assez ouverts sur le monde (je signale juste que ce jeune homme de 33 ans et ½ est marié à une Italienne). Personnellement, la ville de Paris ne l’inspire pas du tout, bien qu’il y vive. C’est plutôt le sud et d’autres horizons qui l’inspirent. Il parlera même de la difficulté qu’il a eue à écrire La mort du Roi Tsongor (Goncourt des lycéens 2002), lui qui n’avait jamais mis les pieds en Afrique.

Quant à MABANCKOU, il abondera dans le même sens que celui qu’il appelle son mentor, LAFERRIERE en s’estimant libre d’écrire sur ce qui lui plaît.
Mona MAKKI aura beau comme les autres demander à CONFIANT de se départir de tout ce poids qui l’encombre, rien n’y fera, l’homme demeurera inflexible. Je ne sais pas ce qui se passait dans son esprit durant ces moments, mais je puis vous assurer que CONFIANT était impressionnant d’une colère que je qualifierai de sereine. C’était le bonhomme qui savait ce qu’il était venu dire, qui l’a dit très péremptoirement. Et lorsqu’il a conclu « je vous signale simplement que je suis de culture créole et que c’est l’anagramme de colère », on aura peut-être compris pas mal de choses. Décidémment, CONFIANT porte très bien son nom... :lol :

Je répète qu’on est d’abord et avant tout un être humain : qu’on s’appelle CHAMOISEAU, U’TAMSI, SOLLERS (que MABANCKOU a cité lors de la conf’, déclenchant un grand rire dans l’assistance...).

M82

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