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Le délestage : cette électricité qu’on supprime souvent

Depuis quelques années, les congolais de Brazzaville se sont habitués aux pénuries d’électricité et d’eau dans les villes comme Brazzaville et Pointe-Noire.

Tous les congolais du plus jeune au plus vieux, surtout dans les villes, savent prononcer le mot délestage. Ils se sont tous habitués à ces coupures intempestives de courant au point d’être surpris quand ils passent une journée entière alimentés en électricité. Un jour entier à utiliser le courant est un jour de grâce qui mérite des applaudissements et des salamalecs à l’endroit des autorités politiques. Comme quoi, être alimenté en électricité est un privilège au Congo.

En effet, seuls les privilégiés ne voient jamais leur courant coupé, les responsables politiques et civiles. Il n’y a qu’à certains endroits (les quartiers pauvres qui ne sont pas habités par les hauts dignitaires) de ces villes que l’on connaît ces éternels délestages. Pourtant, d’après le Larousse délester veut dire : « supprimer momentanément la fourniture de courant électrique dans un secteur du réseau ». Or dans le cas congolais, délester veut dire supprimer longtemps la fourniture de courant électrique.

Ces coupures de courant, comme vous l’avez lu dans des articles précédents sur congopage.com (Des géants européens intéressés par l’eau et l’électricité ) (Une société anglaise va reprendre la SNDE ) (Le Congo inaugure sa première centrale électrique à gaz ) (Electricité : la SNE réorganise son réseau de commercialisation ) (Du matériel moderne pour la SNE ) sont dues aux dettes de la République du Congo à l’égard de la République Démocratique du Congo qui lui vend une partie de son électricité venant du barrage d’Inga. Mais aussi du mauvais fonctionnement du barrage de Moukoukoulou (Bouenza). Même la centrale à gaz construite à Pointe-Noire ne suffit pas à alimenter toute la ville.

C’est ainsi que du problème d’électricité découle celui du manque d’eau. Il y a des quartiers à Brazzaville et à Pointe-Noire, pour ne parler que de ces villes, où les habitants n’ont plus jamais vu l’eau couler de leurs robinets depuis des mois. Dans d’autres quartiers, comme au Plateau des 15 ans à Brazzaville, l’eau ne coule que la nuit vers 2 heures ou 3 heures du matin. Quand les habitants de ces quartiers ont le bonheur d’avoir de l’eau dans la journée, c’est un mauvais présage. Car les jours suivants, ils n’auront même plus l’eau qui ne coule que la nuit.

Cette eau, d’une qualité douteuse arrive dans les robinets avec toutes les impuretés possibles et visibles, si bien que boire l’eau du robinet au Congo est un acte dangereux qui s’apparente à de l’auto empoisonnement. Pour palier à ce manque, la population se ravitaille auprès de certains ressortissants du Congo-Kinshasa, habitant au Congo, qui ont trouvé une activité lucrative en vendant des bidons d’eau aux ménages. Là aussi la provenance de l’eau étant inconnue il vaut mieux ne pas la boire avant de l’avoir bouillie ou filtrée.

C’est aussi le cas pour l’électricité qui arrive dans les ménages. Chaque fois que le courant revient, après l’habituel délestage, il faut faire extrêmement attention avant de brancher les appareils électroménagers. Le courant produit au Congo se passe des normes de voltage indiqué, il arrive soit au dessus de 220V (au point de faire éclater toutes les ampoules de moins de 100 watts) soit en dessous (un fer à repasser ne peut pas s’allumer). Si bien qu’avant de remettre les appareils en marche il vaut mieux mesurer le voltage à l’aide d’un stabilisateur d’électricité, appareil devenu indispensable dans toute maison habitée par des personnes responsables qui ne veulent pas vivre des drames causés par un courant impropre. Mais là encore ce n’est pas gagné, parce que le courant du Congo est parfois incontrôlable et démesuré au point de griller même un stabilisateur.

Il n’est donc pas rare de constater des dégâts causés par ce mauvais courant chaque fois que les agents de la Société Nationale d’Electricité (SNE) du Congo décident de vous faire bénéficier de ce privilège. C’est par exemple, une détonation qui vient d’un téléviseur qui se met ensuite à fumer tout d’un coup, des ampoules qui éclatent les unes après les autres. Bref, une maison qui regorge de bombes susceptibles d’éclater à tout moment. Quand le courant est trop faible, c’est au point de ne même pas pouvoir distinguer les autres habitants de la maison. A ce moment là, s’éclairer à l’aide d’une bougie devient plus efficace.

Ces congolais qui subissent souvent des dégâts de ce genre ne peuvent même pas rêver d’une indemnisation, mais curieusement il existe des associations de consommateurs au Congo. Des associations de consommateurs incapables de protéger et de revendiquer les droits de ceux qu’elles sont sensées représenter.

Comment comprendre qu’au Congo, le consommateur lésé doit payer sa facture de fourniture d’électricité ou d’eau dans les trois jours qui suivent. S’il s’obstine à ne pas le faire, s’en suit un avis de coupure (qui arrive parfois même avant la facture, tellement tout est bêtement programmé), enfin arrive la coupure. Si par malheur l’alimentation d’électricité est coupée, il faut payer une amende avant qu’un agent ne revienne la rétablir.

Pour accomplir ces tâches, la SNE ne connaît aucune faille et n’a aucun scrupule. C’est d’autant plus ridicule d’aller couper du courant électrique ou de l’eau dans une maison qui n’en reçoit que rarement. Puisque les populations vivent perpétuellement en coupure de fourniture d’électricité et d’eau, ça change quoi d’exécuter ces coupures ?

Le bouquet c’est que les factures portent les mêmes montants que ceux d’il y a des années (quand l’électricité et l’eau étaient fournies à peu près régulièrement) même quand aucun agent de la SNE ne vient relever les compteurs. Ceux qui bénéficient des forfaits aussi payent toujours autant. Non, ils payent encore plus, puisque les montants des consommations forfaitaires ont augmenté depuis un moment.

Un autre fait est celui des abonnements parallèles qui touchent certains agents de la SNE. Ceux-ci se sucrent (certainement pour palier aux problèmes des salaires trop bas et irréguliers) auprès de certaines personnes à qui ils fournissent du courant sans passer par la voie officielle moyennant certaines sommes qu’ils perçoivent directement chaque mois. Il n’est donc pas rare de constater qu’un agent de la SNE a fait des raccordements fantaisistes dans son entourage en vue de "distribuer" du courant à ses voisins. Causant ainsi un manque à gagner à une Société Nationale et mettant en danger des populations qui reçoivent du courant par des raccordements insécurisés. Une autre pratique actuelle et répandue est celle de marquer sur un mur de la maison ou sur le boîtier qui protège le compteur l’indication "agent SNE", ainsi, aucun autre agent ne peut se permettre de venir y couper l’électricité.

Même s’il existe des anecdotes qui racontent des cas de rébellion de la part de la population qui aurait pris en otage, tabassé ou chassé des agents de la SNE ou de la SNDE, la population congolaise est devenue trop résignée. Résignée au point d’offrir des dessous de tables à ces agents pour les empêcher d’exécuter une coupure, de se précipiter aux caisses pour payer les factures. En réalité, le congolais ordinaire est abusé, il n’arrive même plus à se rendre compte qu’il n’a pas que des devoirs, mais aussi des droits. Un peuple arrive à de telles dérives lorsqu’il est retenue dans l’ignorance de ses droits. Lorsqu’on lui fait croire que c’est une faveur et qu’il ne mérite pas de bénéficier d’un service ordinaire (avoir l’électricité et l’eau).

Pour cela, il doit payer régulièrement des services dont il ne bénéficie qu’irrégulièrement. Il paye même pour des services médiocres comme la radio et la TV, la redevance radio-TV figure sur la facture d’électricité (mais il faut avoir de bons yeux pour remarquer cette mention inscrite discrètement et ensuite la comprendre). Pour couronner le tout, il doit exprimer sa gratitude aux personnalités qui lui font bénéficier de ces faveurs.

Tout ceci peut sembler surréaliste, pourtant c’est le quotidien de beaucoup de congolais qui vivent dans un monde inimaginable, mais vrai.

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