Un officier supérieur congolais, Norbert Dabira, a été entendu lundi 8 juillet en France, pour la première fois, dans la procédure en cours sur l’affaire dite « des quelques 400 disparus du Beach de Brazzaville ». Le général Dabira a été interrogé, en tant que témoin assisté, par les deux juges qui enquêtent depuis cinq mois sur les plaintes de deux survivants des rafles de mai-juin 1999 au Congo. La plainte vise également le président congolais, Denis Sassou Nguesso.

Début mai 1999, des milliers de Congolais, pour la plupart originaires de la région du Pool et des quartiers sud de Brazzaville, commencent à regagner leur pays. Lors des terribles affrontements de décembre 1998, entre les partisans de Denis Sassou Nguesso et ceux de Pascal Lissouba et Bernard Kolelas, ils avaient franchi le fleuve, à destination de la République démocratique du Congo. Ils avaient été accueillis pour certains par le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Une fois les combats terminés, le HCR avait négocié, entre les deux Congo, le retour des exilés et les avait incité à franchir le fleuve. Il avait obtenu des assurances, quant à leur sécurité, de la part de Brazzaville. Mais l’organisation humanitaire ne les a pas accompagné sur l’autre rive du fleuve où la situation s’avère rapidement inquiétante.

Le 5 mai des rapatriés disparaissent. Des jeunes hommes, surtout, sont séparés des autres dès leur arrivée. Ils sont soupçonnés de collusion avec les adversaires du régime, et notamment avec les miliciens Ninjas de l’ancien Premier ministre Bernard Kolelas. Pourtant le balai des pirogues s’accentue d’une rive à l’autre du Congo, de même que les disparitions. Près de deux cents pour la seule journée du 14 mai. Des témoignages anonymes font désormais état d’exécutions sommaires. L’OCDH et un collectif de familles recensent à la fin de l’été quatre cents disparus. Mais ils se heurtent aux dénégations du pouvoir, qui refuse toute enquête internationale. Seule une commission d’enquête parlementaire sera formellement établie, en mai 2001, mais sans jamais passer à l’acte. D’où l’importance, pour l’OCDH et les familles, de l’instruction en cours en France. D’autant qu’elle s’appuie sur les récits de deux rescapés qui confirme les tueries, auxquelles ils ont miraculeusement survécu.

Pas de mise en examen
En France, la procédure démarre le 5 décembre dernier avec le dépôt d’une plainte par un rescapé de ces fameux événements du « Beach ». La victime est un véritable miraculé des ces exécutions sommaires. Le dossier est lourd, politiquement sensible, mais la procédure suit son cours avec l’ouverture, fin janvier, d’une information judiciaire et la désignation de deux juges d’instruction par le parquet de Meaux, en région parisienne, à proximité de la résidence dont dispose le général Dabira.

Du coup, l’officier congolais se retrouve en première ligne, alors qu’un deuxième rescapé se joint à la procédure. Et, le 23 mai, Norbert Dabira est placé en garde à vue. Assisté de l’avocat français Jacques Vergès, il est entendu par la police judiciaire, libéré le soir même, mais convoqué par les magistrats le 19 juin. Ce fut un rendez-vous manqué : la veille, Norbert Dabira appelle les juges français pour les informer, qu’en raison de « mauvaises conditions météo », il lui est impossible de quitter Brazzaville et qu’il ne se pourra se rendre à leur convocation.

Cette deuxième convocation a donc été la bonne. L’officier congolais s’est présenté lundi matin au palais de justice de Meaux, en région parisienne. C’est là que sont instruites les plaintes pour crimes contre l’Humanité, disparitions forcées et tortures, déposées par deux rescapés des évènements du Beach. Ils incriminent nommément Norbert Dabira qui, à l’époque des faits, occupait déjà la fonction d’inspecteur général des armées, mais également le président Denis Sassou Nguesso, son ministre de l’Intérieur Pierre Oba et le chef de la garde républicaine, Blaise Adoua.

Lundi, l’officier supérieur congolais était accompagné de son avocat français, Jacques Vergès. Il a passé près de quatre heures et demi dans le bureau des juges, il a été interrogé sur sa carrière, sur les événements dramatiques de 1999 et sur sa part présumée de responsabilité. Le général Dabira a rejeté les accusations portées contre lui, rappelant que sa fonction s’est toujours limitée à s’assurer du bon fonctionnement de l’armée. Pour sa part, son avocat a fait valoir une procédure judiciaire en cours à Brazzaville, dans ce même dossier. Une procédure qui, selon la Fédération internationale des droits de l’homme, qui soutient également les plaignants, fait courir « le risque évident de voir monter de toutes pièces une mascarade de procès au Congo qui viserait à faire obstacle à la procédure en France ». Et maître Vergès d’expliquer aux juges, que, selon lui, l’incrimination de son client n’est en fait qu’un prétexte pour atteindre le chef de l’Etat congolais. A l’issue de la convocation, Jacques Vergès s’est montré plutôt satisfait : son client n’a pas été mis en examen. Le général Norbert Dabira est toutefois à nouveau convoqué en septembre, pour une deuxième audition.

ALAIN RENON
11/07/2002

Un rescapé de la tragédie du beach témoigne

Comme des milliers de civils, il avait fui en république démocratique du Congo en raison des combats. Comme eux, il avait décidé de revenir à l’appel du HCR et des autorités congolaises. Il a donc traversé, en toute confiance, le fleuve pour regagner son pays en ce 14 mai 1999, vers 14 h. Là, ses bourreaux l’attendaient... Aujourd’hui, il est l’un de ceux qui ont décidé de porter plainte, sous son vrai nom, devant les tribunaux français. Dans l’entretien qu’il a accordé à Radio France Internationale, un témoignage diffusé le 11 juillet 2002, celui que, pour la circonstance, nous appelerons Pierre fait le récit du massacre auquel il a miraculeusement échappé. Nous retranscrivons ici ses propos.

Pierre. - Il y a des militaires qui nous mettaient sur deux rangs. Les femmes sortaient, les hommes étaient mis dans une salle, c’était le triage. Les plus vieux on les libérait, les plus jeunes on nous enlevait les habits pour voir si on portait des ficelles, pour nous identifier si on était des combattants. Ils n’ont rien trouvé. On nous a enfermés à clef dans une salle. On était de très nombreux jeunes.

RFI. - Etes-vous longtemps resté enfermés dans ce bâtiment du beach ?

On est resté là-bas j’imagine deux heures. On nous disait : « on va vous tuer, vous les hommes de Bernard Kolélas, vous les gens du Pool, on va vous tuer ».

 Qui sont ces gens, des militaires avec des uniformes ? C’est qui ?

Ce sont des Cobras de Sassou Nguesso.

 Après ces premières menaces, que se passe-t-il ?

Après un instant, il y a des voitures qui venaient dans la cour. Ils ont dit que 10 devaient aller dans une voiture. La voiture est partie. On montait 10 par 10 et les voitures partaient je ne sais pas où. Le nombre restant est monté dans un grand bus qui est venu. Nous sommes montés dans le bus bien serrés. Les militaires nous ont dit d’enlever les habits et de nous recouvrir le visage et faire des cagoules pour qu’on ne sache pas où on nous emmène. Dans le véhicule, ils nous frappaient avec leurs armes. Ils allumaient des cigarettes et les brûlaient sur nos corps. Il y avait des pleurs, il y avait des pleurs, il y avait des pleurs…

L’instant d’après le bus s’est arrêté. On nous a fait sortir un par un.

 Toujours cagoulés ?

Toujours cagoulés. On ne sait pas où nous sommes. Quand tu sors, on te piétine avec les chaussures. On nous emmène en bas, il y a des herbes. Vous descendez des escaliers, tu ne sais pas où tu…

 On vous a fait marcher comme ça, vous vous souvenez avoir descendu des escaliers et marché dans l’herbe ?

Oui, des escaliers, oui dans l’herbe, il y avait des pleurs. Et puis en bas là-bas, on nous a dit de nous mettre à genoux. Ils sont derrière nous. On a entendu des tirs, on nous tirait dessus ! La personne à côté de moi est tombée. J’ai été touché par une balle sous l’œil. La balle est entrée dans la bouche et est ressortie par la lèvre. J’étais conscient qu’on m’avait tiré dessus. Puis ils ont crié que s’il y avait des survivants, que s’il y en avait qui n’étaient pas morts, ils pouvaient s’en aller et qu’on ne leur ferait rien.

Moi, quand j’ai entendu ça, je suis resté au sol.

 Vous n’avez pas bougé ?

Non, non. Après un instant, ils ont commencé à nous tirer sur les genoux.

 Ils savaient que vous étiez vivants ?

Non.

 Vous étiez blessé à la tête et aux genoux ?

Oui.

Et ils vous ont cru mort ?

Oui. On nous éclairait avec des lumières pour bien voir si tu bouges.

 Pour être sûr que vous étiez morts ?

Oui, oui. Moi, quand j’ai vu la lumière, j’ai bloqué la respiration. Après, ils sont partis et je me suis dit : je m’enfuis. Après, j’ai enlevé la cagoule et j’ai vu des tas de gens par terre.

 Quand vous avez enlevé la cagoule, vous avez vu beaucoup de corps ?

Beaucoup de cadavres, beaucoup de vieux cadavres.

 C’est-à-dire des gens qui avaient été exécutés les jours précédents ?

Oui, vous voyez ! Après, je me suis éloigné à quelques mètres des cadavres. J’ai passé la nuit là-bas. Puis le lendemain, j’ai commencé à chercher à sauver ma vie.

 Donc miraculeusement, vous avez réussi à vous éloigner de ce lieu d’exécution ?

Oui, en rampant, je me suis retrouvé au bord du fleuve.

 Vous avez été soigné à Brazzaville même ?

Oui, on nous a exécutés le vendredi, je me suis retrouvé le mardi à la mairie de Brazzaville. J’ai été retrouvé par des gens. C’est eux qui m’ont emmené à l’hôpital. J’ai fait mes soins à l’hôpital de Brazzaville.

Nldr. Le témoignage se termine. Le journaliste de RFI semble bouleversé. Qui ne le serait pas ?

(Retranscription du témoignage par journal Mwinda)