Mardi 24 décembre, 20h00. Lékufé (« arête de poisson ») : c’est ainsi qu’en langue mbochie ses collègues mwenés (« chefs traditionnels ») du Nord-Congo ont surnommé Denis Sassou Nguesso. La comparaison fait sourire l’intéressé, qui lui trouve néanmoins un air de ressemblance avec la réalité.

Ceux qui, tout au long de sa vie, ont voulu « l’avaler » - autrement dit l’éliminer politiquement, voire physiquement - en ont été pour leurs frais. Mais si Sassou reste en travers de la gorge de ses adversaires, qui n’ont toujours pas accepté les circonstances dans lesquelles il est revenu au pouvoir en octobre 1997, c’est aussi parce que son élection pour sept ans à la présidence de la République, en mars dernier, « légitime » en quelque sorte et pérennise aux yeux de la communauté internationale un état de fait que d’aucuns considéraient jusque-là comme transitoire. Jusqu’en 2009 au moins, et peut-être même, comme on le lira dans l’entretien qui suit, au-delà, Sassou entend rester le seul maître à bord. De quoi désespérer ceux pour qui il n’est qu’un dictateur - voire un « génocidaire » - de plus.

À voir comment ministres, généraux et collaborateurs plient devant lui et redoutent ses accès de colère, on se dit que les rumeurs selon lesquelles son autorité serait battue en brèche par un entourage avide de revanche et d’enrichissement, au point de le tenir en otage, sont à prendre pour ce qu’elles sont. Démocratisation, traversée du désert et guerre civile n’ont pas affaibli Sassou, elles ont durci un homme de 58 ans qui concentre aujourd’hui entre ses mains plus de pouvoirs qu’il n’en avait au cours de son premier passage à la tête de l’État. Revers obligé de la médaille : les lenteurs et les ratés du processus de réconciliation nationale relèvent donc de sa responsabilité.

Ainsi en va-t-il de la crise du Pool, ce « drame national », pour reprendre les mots du ministre d’État Isidore Mvouba, lui-même originaire de cette région. Certes, Denis Sassou Nguesso estime avoir fait beaucoup pour résoudre pacifiquement le problème numéro un du Congo. Tout récemment, sa proposition de créer des « couloirs humanitaires » sous contrôle international afin de permettre aux rebelles Ninjas nsiloulous (« jusqu’au- boutistes », en lari) de Frédéric Bitsangou, alias pasteur Ntoumi, de se rendre en toute sécurité, en est la preuve. Mais il faudra bien aussi prendre en compte les doléances de la population, trop souvent victime d’une répression indifférenciée. Il faudra aussi enquêter sur les exactions commises de part et d’autre, et sanctionner les coupables, dont les forfaits sont trop aisément classés au rang des effets collatéraux de toute guerre.

Bref, le chemin qui mène à la paix des cœurs passe par l’instauration d’un État de droit, dont le Congo est encore loin. On sent, à l’écouter, que le président aimerait bien clore ce chapitre répétitif et se consacrer à d’autres tâches. Reprendre, par exemple, une activité médiatrice et diplomatique digne de son expérience sur la scène panafricaine. Rattraper le temps perdu en matière d’éducation, de santé et d’agriculture ; ou encore cultiver sa nouvelle passion : la conservation du bassin du fleuve Congo, ces deux cents millions d’hectares de forêt d’un seul tenant qui vont du Gabon au Kasaï et qui sont, dit-il, « notre Amazonie ». Mais on ne refait pas l’histoire de son pays, encore moins la sienne propre. On l’assume. Et on la gère.

J.A./L’INTELLIGENT : Impossible de ne pas aborder en priorité avec vous la question du Pool. Cinq ans après votre retour au pouvoir, une grande partie de cette région essentielle du Congo et au sein de laquelle se trouve la capitale, Brazzaville, vit pratiquement en état de sécession, en dehors de la République. Votre dernière proposition en date, l’ouverture de couloirs humanitaires afin de permettre aux rebelles Ninjas du pasteur Ntoumi de se rendre, est-elle enfin la solution ?

DENIS SASSOU NGUESSO : Je l’espère, car ce n’est pas la première fois que nous tendons la main. Non sans succès d’ailleurs, en ce qui concerne les miliciens et militaires rebelles opérant dans d’autres régions que le Pool. Tous ceux qui parcouraient la brousse dans le Niari, la Bouenza et la Lekoumou nous ont ainsi rejoints et ont été amnistiés. Certains de leurs chefs sont même devenus députés ou titulaires de fonctions officielles. En fait, les poches d’insécurité qui subsistent dans le Pool relèvent du terrorisme résiduel et de la manipulation mentale, à forte connotation mystique. Ntoumi, apparemment, s’y entend en la matière. Je veux croire pourtant qu’il existe encore autour de lui des éléments lucides et qu’ils répondront à mon appel. J’ai, par le passé, envoyé des dizaines de missions de bons offices auprès de Ntoumi. Les sages du Pool, le Pnud et même le président Bongo s’en sont mêlés. En vain. Mais je ne me décourage pas.

J.A./L’INTELLIGENT :Le comportement de la Force publique chargée de réprimer les rebelles pose problème. On lui reproche de se livrer à des exactions contre les populations civiles, et plusieurs personnalités du Pool, notamment des évêques, demandent que des troupes « professionnelles » comme la gendarmerie soient désormais chargées du maintien de l’ordre dans cette région. Est-ce aussi votre avis ?

D.S.N : Beaucoup de ceux qui s’expriment sur ce sujet le font en ignorance de cause. Primo : si la Force publique opère dans le Pool, c’est parce qu’il s’y trouve des terroristes, et non l’inverse. Cela paraît évident, mais mérite tout de même d’être rappelé. Secundo : la même Force, que d’aucuns présentent comme un ramassis de délinquants, se trouve partout ailleurs dans le pays, sans que nul ne s’en plaigne. Tertio : notre gendarmerie n’en est qu’à un stade embryonnaire.

J.A./L’INTELLIGENT : Peut-être. Mais de là à réfuter en bloc tout dérapage contre des civils…

D.S.N : Je n’ai pas dit cela. Notre Force publique est composée de jeunes gens que nous sommes en train de former et qui commettent parfois des fautes. Toute situation de conflit, toute violence imposée et qu’il faut réprimer entraîne des dérapages, que nous nous efforçons de sanctionner. Même les armées les plus disciplinées et les mieux organisées charrient leur lot de bavures. Les Américains n’ont-ils pas tiré des missiles sur un village afghan qui célébrait un simple mariage ? Toute guerre a son revers. Au Congo, nous avons dû recréer à partir de zéro une armée que le président Lissouba avait détruite et remplacée par des milices. Ce n’est pas une excuse, certes, mais une circonstance atténuante non négligeable. En fait, ceux qui s’en prennent à notre Force publique sans tenir compte de ce contexte et en feignant d’oublier que plusieurs centaines de Ninjas ont déjà réintégré la légalité républicaine sans être le moins du monde inquiétés sont des irresponsables et des pyromanes. Je préfère m’en tenir là.

J.A.I : L’amnistie générale prononcée en décembre 1999 tient-elle toujours ?

D.S.N : Absolument. Je la garantis moi-même.

J.A.I : Y compris pour le pasteur Ntoumi ?

D.S.N : Tout à fait. S’il consent à déposer les armes.

J.A.I : Avez-vous peur de vous rendre dans le Pool ?

D.S.N : Peur, moi ? Mais ici, à Brazzaville, nous sommes en plein cœur du Pool ! Ai-je l’air d’avoir peur ? Pendant la campagne présidentielle, au début de cette année 2002, je me suis rendu à Kindamba, à Mindouli, à Boko, à Louingui, à Kinkala où j’ai passé la nuit. Le Pool est au Congo, que je sache. Et je suis le chef de l’État. Pourquoi devrais-je avoir peur ?

J.A.I : L’un de vos amis, le général Bouissa Matoko, a été, il y a plusieurs mois, envoyé en mission auprès du pasteur Ntoumi par votre ex-directeur de cabinet, Gérard Bitsindou, avec votre accord. Il a ensuite disparu avant de réapparaître tout récemment, de l’autre côté du fleuve, à Kinshasa. Selon sa famille, il risquerait, en cas de retour à Brazzaville, d’être arrêté pour haute trahison. Que s’est-il passé ?

D.S.N : Ce n’est pas moi qui ai envoyé Bouissa rencontrer Ntoumi. Lui-même le sait fort bien. J’étais en voyage au Maroc quand cette mission a été décidée et je ne l’ai apprise qu’à mon retour à Brazzaville. On m’a ensuite rapporté que Bouissa se trouvait chez Ntoumi, à ses côtés. Puis qu’il était à Kinshasa. Il faut que les choses soient claires : je n’ai ni envoyé moi-même ce général, ni demandé à Gérard Bitsindou de le faire à ma place. C’est tout ce que je peux dire.

J.A.I : Selon un récent rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme, les derniers émissaires que Ntoumi a envoyés auprès de vous pour négocier auraient été placés en détention.

D.S.N :C’est évidemment faux. Il faut savoir que l’antenne congolaise de cette ONG est tout sauf apolitique. Ceci explique cela.

J.A.I : Avant la guerre civile de 1997, vos rapports avec Bernard Kolélas, qui était en quelque sorte le leader naturel du Pool, étaient plutôt bons. Vous aviez même formé une alliance politique avec lui contre le président Lissouba, laquelle a volé en éclats dès le début du conflit. Pourquoi êtes-vous devenus ennemis ?

D.S.N : C’est une question que je pose aux cadres et aux populations du Pool, dont certains pensent que le pouvoir cherche à les exterminer, voire à entretenir le conflit pour mieux parvenir à ses fins destructrices. D’où vient-il que nous soyons en guerre, alors que jusqu’au 5 juin 1997 nous étions ensemble dans une alliance de l’opposition que présidait justement Bernard Kolélas ? Pourquoi ce dernier a-t-il tout à coup décidé de se proclamer médiateur neutre - ce que nous avons accepté - puis Premier ministre de Lissouba, avant de mobiliser ses miliciens contre nous ? Je l’ignore. Mais c’est dans ces circonstances précises que le Pool est entré dans la guerre, à la suite et sous la conduite de Bernard Kolélas. Et encore : lorsque le conflit s’est arrêté en octobre 1997, ni cette région, ni même les quartiers sud de Brazzaville n’avaient été touchés par les combats. Les ordres que j’avais donnés à mes troupes étaient très stricts en ce sens. C’est plus tard, en 1998, que l’insécurité s’est instaurée. Pourquoi ? Que Kolélas me réponde.

J.A.I : Selon vous, le pasteur Ntoumi est-il manipulé par Bernard Kolélas ou agit-il seul ?

D.S.N : Je n’en sais rien. Ntoumi n’a aucun programme politique, économique et social. Aucune revendication précise. Ni moi ni les Congolais ne savons au juste pourquoi il fait la guerre.

J.A.I : Kolélas est en exil en Afrique du Sud, et Ntoumi au fond des forêts. Y a-t-il d’autres leaders originaires de la région du Pool susceptibles de lancer un appel à la paix et d’être entendus ?

D.S.N : Je ne réponds pas à cette question, car c’est le problème des gens du Pool, pas le mien. Il me suffit de savoir que nombreux sont les cadres de cette région qui travaillent à mes côtés.

J.A.I : Pourquoi les principaux anciens dirigeants de la période Lissouba - à savoir Pascal Lissouba lui-même, Bernard Kolélas, Joachim Yhombi Opango et Mougounga Nguila - sont-ils toujours exclus de l’amnistie générale ?

D.S.N : Ils ont été condamnés, et leur amnistie n’est pas une revendication populaire ici. Elle n’est donc pas à l’ordre du jour. Le quatuor dont vous parlez est l’arbre qui cache la forêt : la grande majorité des acteurs emblématiques de cette période est rentrée au Congo et n’y est nullement inquiétée. Certains sont députés, sénateurs, voire ministres. D’autres, qui se disent encore en exil, savent qu’ils peuvent revenir sans encombre, mais préfèrent rester à l’étranger pour des motifs économiques. Même l’épouse de l’ancien président et ex-Premier ministre de Lissouba, Yhombi, est rentrée au pays à l’occasion du décès de son père. Elle est allée s’incliner sur sa tombe à Boundji dans le Nord, puis elle est restée dans un hôtel de Brazzaville pendant plus d’un mois, avant de repartir auprès de son mari. Qui l’a inquiétée ? Personne.

J.A.I : La dernière mission du FMI au Congo, en octobre, s’est achevée sur un constat plutôt critique à l’encontre de votre gouvernement. Principale mise en cause : la gestion, toujours opaque, des recettes pétrolières…

D.S.N : Pourtant, comme chaque année, notre projet de budget pour l’exercice 2003 prévoit au franc CFA près tout ce qui revient à l’État au titre du pétrole, qu’il s’agisse de l’impôt ou du partage de production. Je sais que, par ailleurs, certains jasent à propos des conditions dans lesquelles notre société nationale, la SNPC, met en vente la part de produits pétroliers qui lui revient. Pour mettre un terme à cette agitation, nous avons accepté le principe d’un audit de la SNPC, ainsi que l’exigent le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions choisiront elles-mêmes l’auditeur. Nous n’avons rien à cacher.

J.A.I : L’épiscopat congolais a, lui aussi, dans un mémorandum qu’il vous a fait parvenir, critiqué cette gestion. Les évêques proposent même de jouer le rôle de contrôleurs de la redistribution de la rente pétrolière afin, disent-ils, qu’elle profite à chacun. Qu’en pensez-vous ?

D.S.N : Écoutez, le peuple congolais a déjà vu l’Église catholique à l’œuvre, côté gestion des affaires de l’État. Le premier président de ce pays fut un prêtre, l’abbé Fulbert Youlou. Trente ans plus tard, à l’issue de la Conférence nationale, la présidence du Parlement de transition a été assurée par un évêque. Ces expériences ont-elles été concluantes ? Je n’en suis pas sûr. Ne devraient-elles pas contraindre certains à ce qu’on appelle en religion le devoir d’humilité ? Je ne suis pas loin de le penser. Cela dit, tous les avis sont les bienvenus.

J.A.I : Les Congolais ne comprennent toujours pas pourquoi il y a tant de pénuries de carburant dans un pays producteur de pétrole…

D.S.N : Mais un pays producteur achète son brut au même prix que tout le monde, le raffine puis le distribue comme tout le monde. Ce n’est pas parce que nous en produisons que le pétrole est gratuit ! Il nous faut donc des devises pour le payer. S’ajoutent à cela les difficultés de transport par rail entre Pointe-Noire et Brazzaville - les terroristes ont détruit six viaducs qu’il nous a fallu réparer et coupé le chemin de fer à de multiples reprises - ainsi que l’arrêt technique pour révision de notre unique raffinerie. Enfin, le processus de privatisation d’HydroCongo a quelque peu ajouté à ces désagréments. Tout cela est surmontable.

J.A.I : Idem pour l’électricité ?

D.S.N : Nous dépendons en grande partie du barrage d’Inga, en RD Congo. Pour le reste, New York et Los Angeles ont aussi connu leur lot de coupures…

J.A.I:Trouvez-vous normal que le Congo ne soit toujours pas éligible à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés ?

D.S.N : Nous espérons conclure un accord en ce sens avec les institutions de Bretton Woods d’ici au milieu de 2003. On nous cherche des poux dans la tête à propos de la gestion du pétrole. Fort bien. Mais pourquoi, à tout le moins, ne nous considère-t-on pas comme un pays en situation de postconflit ? Cinq ans après la fin de la guerre, nous ne bénéficions toujours d’aucun appui financier extérieur. Nous maintenons la tête hors de l’eau sans aucun secours, en comptant sur nos propres forces. C’est cela qui est injuste.

J.A.I : Les fonctionnaires congolais ont de plus en plus de mal à admettre ce qu’il faut bien appeler le blocage de leurs salaires. Surtout quand on sait que leurs revenus avaient été arbitrairement réduits d’environ 25 % sous le précédent régime et qu’ils n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’antan. Que leur dire, pour qu’ils ne désespèrent pas ?

D.S.N : Je ne suis pas un démagogue et je tiens le langage de la vérité. À quoi cela servirait-il de décréter une augmentation générale des salaires, pour retomber deux mois après dans d’inextricables problèmes d’arriérés de paiements tout simplement parce que les finances de l’État ne pourraient pas suivre ? À rien. Même chose en ce qui concerne le rétablissement des promotions dans la fonction publique avec effet financier immédiat, comme le réclament certains syndicalistes. Il y a dix ans, dans l’euphorie de la Conférence nationale, des dizaines de lois - on appelait ça des « actes » - ont été édictées. Aucune n’a tenu et les Congolais ne s’en souviennent même plus. On ne joue pas avec les réalités économiques. Cela dit, il n’y a pas lieu de désespérer, bien sûr : dès que la conjoncture le permettra, les salaires reprendront leur cours ascendant.

J.A.I : Un opérateur économique du nom d’Humberto Brada est à l’origine de ce que l’on peut qualifier de scandale financier du siècle au Congo. Si l’on en croit la justice, cet homme d’affaires aurait entre 2000 et 2002 collecté au moins 20 milliards de F CFA auprès de 25 000 personnes, attirées par des taux d’intérêt mirobolants. Avant de faire faillite. Il est donc possible, dans ce pays, de récolter l’argent des épargnants sans autorisation ni cadre légal ?

D.S.N : Il est hélas ! toujours loisible à des escrocs de profiter de la misère et de la naïveté des pauvres gens. Dès qu’ils en ont été informés, les pouvoirs publics ont mis un terme à cette affaire. Un peu tard, j’en conviens.

J.A.I : C’est le moins que l’on puisse dire : ce monsieur a sévi pendant près de trois ans en toute impunité. Imaginez qu’il ait fui avec tout cet argent…

D.S.N : Nous avons manqué de vigilance, c’est vrai. Mais nous l’avons arrêté avec beaucoup de fermeté. Savez-vous que nombre de ses victimes l’ont, dans un premier temps, défendu avec vigueur ? Elles le prenaient pour un bienfaiteur !

J.A.I : Autre problème, directement lié lui aussi à la misère et à la naïveté, celui de la multiplication des sectes et autres Églises d’appellations non contrôlées qui essaiment à travers tout le pays. N’est-il pas urgent d’interdire celles qui, parmi elles, relèvent de l’escroquerie ?

D.S.N : C’est un terrain encore plus délicat. Nous sommes ici dans le domaine de la foi, de la liberté de culte et de conscience. C’est, en outre, un phénomène qui n’est pas spécifiquement congolais. Nous avons donc une obligation de prudence, même si, vous avez raison, les cas d’escroquerie sont ici sanctionnés, comme ce pasteur qui prétendait guérir les malades par imposition des mains sur un écran de télévision.

J.A.I : Comment avez-vous ressenti l’échec de votre candidat Henri Lopès, au poste de secrétaire général de la Francophonie ?

D.S.N : Beaucoup mieux que d’aucuns l’ont dit. Je continue de penser que notre compatriote Henri Lopès était le bon candidat, en tout cas le mieux qualifié. D’autres considérations sont-elles entrées en jeu, qui ont en définitive fait pencher la balance en faveur de notre ami Abdou Diouf ? Je l’ignore. Mais il n’y a pas lieu de nous entredéchirer pour autant. Un secrétaire général a été choisi à Beyrouth. Qu’il assume donc ses fonctions en toute quiétude. J’ai beaucoup d’autres choses à faire.

J.A.I : Pourtant, on vous a vu plutôt agacé lors du Sommet de Beyrouth…

D.S.N : C’est possible. Sur le coup, j’ai un peu vécu cela comme une injustice. D’où une humeur de quelques minutes, sans plus.

J.A.I : Êtes-vous de ceux qui pensent que l’Afrique centrale est sous-représentée dans les instances internationales ?

D.S.N : Par rapport au reste de l’Afrique, c’est incontestable. Nous avons d’ailleurs fait savoir à Beyrouth que nous n’étions pas disposés à accepter éternellement cette discrimination.

J.A.I : Pensez-vous réellement qu’Henri Lopès avait ses chances ?

D.S.N : Il avait toutes les chances. Pour peu que la démocratie ait prévalu, c’est-à-dire que nous soyons passés au vote. Mais on a préféré l’élection par consensus.

J.A.I : Qui, on ? Les Français ?

D.S.N : Je l’ignore. Et puis je vous l’ai dit : c’est du passé.

J.A.I : Votre voisin centrafricain, le président Patassé, est confronté depuis fin octobre à une insurrection armée. Que doit-il faire selon vous ? Négocier ? Dialoguer avec les rebelles ?

D.S.N : Cela a toujours été la position des États membres de la Cemac sur cette affaire, donc la mienne. Le retour à la paix passe par le dialogue.

J.A.I : Pensez-vous que le Tchad cherche à déstabiliser le pouvoir en place à Bangui, ainsi qu’on l’affirme dans l’entourage d’Ange-Félix Patassé ?

D.S.N :Je n’entrerai pas dans cette polémique, faute d’éléments. Ce que je sais, c’est qu’à Libreville, peu avant que n’éclatent ces événements, nous avons vu les présidents Déby et Patassé s’embrasser. Il était même convenu que le premier aille rendre visite au second chez lui.

J.A.I : Vous y croyez encore aux embrassades entre chefs d’État, avec l’expérience qui est la vôtre ?

D.S.N : Et pourquoi pas ? Il faut toujours croire, toujours communiquer, ne jamais désespérer.

J.A.I : Le président Patassé semble penser que vous n’êtes pas vraiment son ami…

D.S.N : Je n’y crois pas. Il ne peut pas le penser, encore moins le dire. Il n’y a absolument aucune raison pour cela.

J.A.I : Certains de ses proches le disent pour lui.

D.S.N : Vraiment ? Les proches, vous savez… Ici, au Congo, nous avons vécu des situations encore plus difficiles que celle qui prévaut en Centrafrique. Nous n’avons jamais incriminé qui que ce soit.

J.A.I : La Côte d’Ivoire vous préoccupe-t-elle ?

D.S.N : Et comment !

J.A.I : Quelles sont, selon vous, les raisons de ce drame ?

D.S.N : La gestion de l’après-Houphouët.

J.A.I : Vous voulez dire par là que l’héritage du « Vieux » a été mal géré par ses trois successeurs ?

D.S.N : C’est mon sentiment.

J.A.I : Que pensez-vous de la notion d’ivoirité ?

D.S.N : Cette notion n’avait pas lieu d’être. C’était, de la part de ceux qui l’ont promue, à la fois une facilité et un aveu de faiblesse.

J.A.I : Qui soutenez-vous dans cette crise ?

D.S.N : Ce n’est plus le problème. L’urgence est d’aider la Côte d’Ivoire à se sauver, pas de soutenir tel ou tel.

J.A.I : Aurait-on pu éviter cette catastrophe ?

D.S.N : Je le crois. J’avais, dès les premiers jours qui ont suivi le 19 septembre, suggéré à l’ancien Premier ministre Seydou Diarra, venu me voir à Brazzaville, la proposition suivante : que Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara se rencontrent et lancent un appel commun à la paix et à la raison. Diarra, je le pense, a transmis le message. En vain, hélas !

J.A.I : Ne craignez-vous pas qu’un jour un vent de « congolité » souffle sur votre pays ?

D.S.N : Quel vilain mot ! C’est exclu. Les étrangers qui vivent ici le savent bien, même ceux qui, parmi eux, commettent quelques excès.

J.A.I : Vos relations avec la France pâtissent-elles des poursuites engagées par des juges français contre le général Dabira, le ministre Pierre Oba et quelques autres personnalités de votre entourage à propos de ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire des disparus du Beach ?

D.S.N : Cette affaire ne relève pas de la responsabilité du gouvernement français. Elle concerne un petit juge de Meaux qui interprète la loi à sa manière. Je n’en dirai pas plus.

J.A.I : Il y a eu un Sassou I, celui qui dirigea ce pays de 1979 à 1992. Puis un Sassou II, celui qui reprit le pouvoir en 1997. Y a-t-il, depuis l’élection présidentielle de 2002, un Sassou III ?

D.S.N : À combien de Sassou vous arrêterez-vous ? En fait, il n’y a qu’un seul Sassou. C’est un homme qui écoute, vit des expériences parfois difficiles, en dégage les enseignements et essaie de corriger le tir quand c’est nécessaire.

J.A.I : Vous n’avez pas de Premier ministre…

D.S.N : La Constitution ne le prévoit pas. Mais il y a un ministre d’État chargé de la Coordination du gouvernement, Isidore Mvouba, qui a délégation de pouvoirs pour régler les problèmes au quotidien.

J.A.I : Il n’empêche : le chef du gouvernement congolais, c’est vous.

D.S.N : Effectivement. Nous sommes en régime présidentiel.

J.A.I : Vous êtes aussi le chef de l’armée.

D.S.N : Comme tous les présidents.

J.A.I : Sauf que vous, vous êtes général.

D.S.N : C’est une autre histoire. D’ailleurs, je suis à la retraite.

J.A.I : Vous êtes également le vrai patron de la diplomatie congolaise et le vrai gestionnaire du pétrole congolais, vous êtes aussi chef traditionnel et, vous connaissant, aucune nomination, aucune attribution de décoration ne vous échappe. Cela ne fait pas un peu trop ?

D.S.N : Je n’exerce que les pouvoirs qui me sont dévolus par la Constitution. Je ne me substitue ni à l’Assemblée, ni au Sénat, ni à la Cour suprême. Quant à mes activités de chef traditionnel, qui sont réelles - j’en conserve d’ailleurs les attributs ici dans mon bureau -, je n’ai pas besoin d’être président pour les assumer.

J.A.I : À quoi ressemblera le Congo à la fin de votre mandat, en 2009 ?

D.S.N : Vous ne pensez tout de même pas que je vais passer un septennat à ne rien faire ! J’ai trois priorités : l’agriculture, l’éducation et la santé. Dans ces trois domaines au moins, tout va changer.

J.A.I : Avez-vous vu les résultats du baccalauréat 2002 ? Le meilleur lycée du pays affiche un taux de réussite de… 25 %.

D.S.N : Et dire que le Congo avait, il y a une vingtaine d’années, un taux de scolarisation de 100 % ! Nous devons rattraper ce chiffre. Cela relève aussi de notre responsabilité.

J.A.I : Revenons à 2009. La paix règnera-t-elle enfin dans le Pool ?

D.S.N : C’est sûr. On ne parlera plus de ce problème, c’est une évidence.

J.A.I : Vous avez fondé votre campagne électorale sur un programme en douze points, une sorte de contrat que vous avez appelé « La Nouvelle Espérance ». C’est donc sur le degré d’accomplissement de ces promesses que vous serez - ou non - réélu en 2009 ?

D.S.N : [Rires] Par exemple !

Propos recueillis à Brazzaville par François Soudan .

© Copyright " Jeune Afrique-L’Intelligent " Du 22 dec au 04 jan 2003